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LA CHINE EN PUISSANCE ?

Compte-rendu de la Demi-journée d'étude, organisée en partenariat avec l'Association Minerve et avec Airbus Group.

Xi Jinping, élu Secrétaire général du PCC lors du 18ème congrès puis quelques mois plus tard président de la République (mars 2013), a défini un agenda de politique intérieure et de politique extérieure ambitieux. Il entend faire de la Chine une très grande puissance en utilisant les leviers de la géoéconomie autant que ceux de la géopolitique. Le retour de la Chine dans l’histoire moderne soulève ainsi une des grandes interrogations de nature géopolitique des prochaines décennies. Comment le système international, construit autour de normes occidentales et en fonction des intérêts occidentaux, peut-il être aménagé pour tenir compte de la réapparition de la Chine comme très grande puissance dont il convient de prendre la mesure? 


Sous la présidence de Pierre MOREL, ancien ambassadeur de France à Beijing


1ère table ronde « La Chine nouvel acteur des relations internationales »


- « La Chine : identité plurimillénaire et représentation de la société internationale contemporaine», Yves BOYER, professeur émérite, École polytechnique


- « L’état économique de la Chine et ses projets de ‘Route de la Soie’ », Françoise NICOLAS, directeur du Centre Asie, Institut français des relations internationales


2ème table ronde « La Chine et la puissance » 


- « Politique de défense et ambitions stratégiques dans la Chine de Xi Jinping », Marc JULIENNE, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique


- « Ambitions maritimes chinoises », Alexandre SHELDON-DUPLAIX, chercheur, Service historique de la Défense


Yves Boyer

La Chine : identité plurimillénaire et représentation de la société internationale contemporaine à travers quelques exemples empruntées à l’histoire chinoise


La Chine est dite le « pays du milieu » (Zhongguo, 中国 ou Zhonghua 中華), Zhongguo signifiait « le centre du pays », c’est-à-dire qu’il désignait pour l’essentiel l’actuelle province du Henan ; ce n’est qu’au 19ème siècle, avec l’ouverture forcée du pays aux étrangers, que le terme recouvrera la totalité du pays. Zhonghua (« prospérité du centre ») est un terme plus littéraire. Hua signifie la nation Han, c’est-à-dire la nation chinoise. Le terme apparaît dans la dénomination officielle de la République Populaire de Chine.


En quelques décennies, depuis la fin de l’épisode épique mais profondément néfaste du maoïsme, la Chine s’est hissée au second rang des puissances mondiales dépassant même les Etats-Unis dans certains domaines d’activité. L’Empire du Milieu est devenu le premier marché automobile de la planète, le premier importateur mondial de matières premières, le premier producteur d’acier, le premier exportateur, devant l’Allemagne. La Chine est également en passe de s’affirmer comme une puissance financière de premier plan d’après une étude de Goldman Sachs, le marché boursier chinois pourrait devancer celui des Etats-Unis avant 2030. Une classe moyenne a émergé et s’ouvre au monde, on estime qu’en 2020, près d’une centaine de millions de touristes chinois iront à l’étranger.


Le récent décollage économique de la Chine peut être considéré autant comme un rattrapage que comme un envol. Les analyses de l’économiste et historien britannique Angus Maddison montrent que l’Empire du milieu retrouve ainsi, après le déclin de la période 1840-1978 (date à laquelle Deng Xiao Ping lancera la politique des « Cinq modernisations »), la place séculaire qu’il a toujours occupée.


La Chine renoue ainsi avec l’histoire par des voies singulières. Son retour comme très grande puissance inquiète autant qu’il rassure. Dans l’un et l’autre cas, il convient de la (re)découvrir. Elle représente de l’ordre de 22 fois la population française avec 1 milliard 365 millions d’individus (2015) répartis sur un territoire de 9,5 millions de km2 (17 fois la France), elle représente l’ensemble politique le plus ancien et le plus important de l’humanité contemporaine, héritier d’une culture multimillénaire, qui, tel un palimpseste, imprègne le présent et contribue, avec l’héritage moderne de la période maoïste, à modeler la conduite des dirigeants chinois.


Remédier à la méconnaissance de l’Empire du milieu et briser les nombreux préjugés qui subsistent à son égard reste une tâche à accomplir. Anne Cheng faisait ainsi remarquer, lors de sa conférence inaugurale au Collège de France : « à présent que nous sommes engagés pour de bon dans le XXIe siècle, alors que la Chine a changé et continue de changer sous nos yeux à une vitesse étourdissante…l’ignorance (ou, pire encore, les idées préconçues) de nos concitoyens, y compris de nos élites, concernant la Chine et sa culture se maintiennent à un niveau préoccupant ».


De fait, malgré une éminente et longue tradition sinologique française, la réalité chinoise reste très largement ignorée en France et, en tout cas, souvent abordée à partir de clichés, généralement caricaturaux, voire hostiles, - ou à travers le prisme unique de la démocratie et des droits de l’Homme à l’aune desquels il conviendrait de juger et mesurer l’action des dirigeants chinois.


Ce retour de la Chine dans l’histoire moderne soulève une des grandes interrogations de nature géopolitique des prochaines décennies. Comment le système international, construit autour de normes occidentales et en fonction des intérêts occidentaux, peut-il être aménagé pour tenir compte de la réapparition de la Chine comme très grande puissance ?


Le plus vieil ensemble politique et culturel du monde

La civilisation chinoise va prendre peu à peu ses traits caractéristiques et si originaux dans la grande plaine du nord entre fleuve Jaune et fleuve Bleu, dans le pays du « milieu ». La première dynastie chinoise attestée par l’histoire est celle des Xia, (20 siècles avant notre ère) elle sera suivi par celle des Zhou qui ne saura empêcher le morcellement de l’empire. Subsisteront des principautés et des royaumes désunis cependant apparentés par une certaine unité de civilisation édifiée à l’abri de toutes influences étrangères. Ce morcellement prendra fin (en – 221) par la victoire sur ses rivaux du roi des Ts’in qui deviendra empereur sous le nom de Ts’in Che-houang-ti. La dynastie Ts’in dont le nom est à l’origine de celui de la Chine, donné alors par les marchands indiens en relation avec le Céleste empire.


Ts’in Che-houang-ti a voulu éradiquer tout ce qui pouvait contribuer à l’affirmation des pouvoirs anciens, en particulier ceux liés à la féodalité ou encore celui des lettrés. Il ordonnera ainsi la destruction des livres classiques. Cette volonté de faire table rase du passé se retrouvera dans la période maoïste. Lors de la Révolution culturelle, fleurit le slogan rattachant le présent au passé glorieux de la Chine (« Pour Ts’in Che-houang-ti, contre Confucius ») afin de galvaniser les masses dans leur lutte contre le « révisionnisme », bête noire des gardes rouges, incarné par les cadres du Parti assimilés aux lettrés de jadis.


Ts’in Che-houang-ti unifiera la langue écrite c’est ainsi que depuis plus de deux millénaires existe une sinographie inchangée ; la particularité du chinois classique, dans sa forme écrite, est depuis lors de traduire un langage par les seuls signes sans qu’intervienne la langue orale, c’est ainsi un trésor inestimable qui s’est constitué en Chine et préservé par la classe des lettrés. Ces derniers, administrateurs, bâtisseurs, ingénieurs administreront la Chine jusqu’à la fin de l’ancien régime, en 1912. Dans la Chine contemporaine la classe dirigeante sert, comme les lettrés de jadis, un Etat hiérarchisé et autoritaire qui maintient sa domination sur toutes les activités de la vie politique et sociale. Un Etat immense où, d’une façon endémique, se manifestent des dysfonctionnements, comme la corruption, parfois tolérée mais généralement réprimée sévèrement, hier comme aujourd’hui, d’autant plus que dans la mémoire historique chinoise, l’affaiblissement intérieur du pays est très largement synonyme d’affaiblissement géopolitique préparant l’arrivée des « barbares ». Ce complexe obsidional se retrouve aujourd’hui largement répandu parmi la classe dirigeante chinoise et imprime sa marque sur la politique extérieure chinoise.


La rencontre avec l’Europe

Appuyé sur ce système très efficace de gouvernement, depuis très longtemps les différentes dynasties, avec des hauts et des bas, vont poursuivre l’expansion territoriale de la Chine vers l’Ouest favorisant ainsi le commerce sur ce qui sera appelé par les européens à la fin du 19ème la « route de la Soie », (Die Seidenstrasse) terme du au géographe allemand Ferdinand von Richthofen. C’est par elle que des échanges commerciaux s’établiront avec l’Occident.


Après des siècles de fermeture pour de multiples raisons les liens avec l’Europe vont reprendre sous la dynastie mongole des Yuan qui va régner sur le plus grand empire qu’ait connu le monde, s’étendant des rives du Pacifique aux confins ukrainiens. Les Yuan en assurant la stabilité et la sécurité intérieure favoriseront la redécouverte de la Chine par les Européens, ce dont profitera Marco Polo, qui deviendra gouverneur d’une province chinoise. Le pays va se refermer après le renversement de Yuan malgré quelques rares comptoirs occidentaux, notamment Macao, d’où à la fin du XVIème siècle partiront les Jésuites, les premiers Européens, depuis l’épisode de Marco Polo, qui parviendront jusqu’au cœur du Céleste Empire. Ce fut, en particulier, le destin illustre de Matteo Ricci qui, devenu un lettré chinois (et reconnu comme tel de nos jours), verra sa renommée parvenir à la Cour impériale. La bonne relation entre les Jésuites et la cour impériale se développera positivement jusqu’au moment où l’empereur Yang Tchang interdira le christianisme dans l’empire en 1724. L’ héritage chrétien n’était cependant pas perdu puisqu’aujourd’hui on estime qu’il y a davantage de Chrétiens (environ 100 millions) que de membres du Parti communiste, de l’ordre de 86 millions.


Dans la seconde moitié du XVIIIème, à une vision positive de la Chine, propagée par les jésuites, va succéder une vision beaucoup plus critique, largement véhiculée par les Anglais, qui, colonisant alors les Indes, en montrèrent une image positive, par contraste avec la Chine, dépeinte sous des jours peu avenants. C’est l’époque où, apprenant la nature de la législation pénale du Code des Ming, repris par les Qing, qui banalisait l’usage des coups de bambou, Montesquieu exprimera des réflexions sinophobes : « C'est le bâton qui gouverne la Chine ». En 1895 l’empereur d’Allemagne commanda, un tableau, Die Gelbe Gefahr (Le péril jaune), montrait les « hordes chinoises » lancées à l’assaut de l’Europe, tableau dont des copies furent offerts par Guillaume II à tous les souverains d’Europe et au président de la République française. Hier comme aujourd’hui, pour l’Occident, comme le souligne Simon Leys, « le problème de la Chine est d’abord le problème de la connaissance de la Chine ».


La fermeture de la Chine sera forcée d’abord par les Britanniques (Traité de Nakin de 1842) ouvrant la voie à l’irruption des autres Etats européens et des Etats-Unis. Chine va entrer dans un cycle déclin dont elle ne se relèvera qu’avec l’avènement de Mao en 1949. Son règne sera catastrophique hormis le fait qu’il aura redonné à la Chine sa souveraineté et sa fierté. La situation interne sera débloquée avec l’arrivée au pouvoir en 1978 de Deng Xiaoping qui va ouvrir la Chine à la modernité et la réintégrer dans le concert des nations.


Le renouveau

L’oligarchie « rouge » qui dirige la Chine depuis lors est tout à la fois « confucéenne » et mercantiliste. Elle est en effet résolument mercantiliste ce qui ne manque pas d’influencer le comportement, y compris personnel, des dirigeants dont les proches sont, très souvent, liées au monde économique et financier. Leurs enfants vont, dans de très nombreux cas, parfaire leurs études dans les meilleures écoles de management et universités occidentales. L’oligarchie se réclame aussi du confucianisme moins comme d’une référence morale absolue que comme un principe devant influencer la société dont les repères ont été bouleversés tant par la fin du principe impérial que par les années terrible de la dictature maoïste et aujourd’hui par la perte de « foi » dans le marxisme-léninisme. Cette réminiscence du confucianisme permet ainsi de conforter l’ordre existant au profit du parti tout en apportant des connotations humanistes dans une société qui en est tellement dépourvue et où la corruption est devenue une préoccupation prioritaire pour les dirigeants.


En politique extérieure de la RPC la ligne suivie depuis l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping jusqu’à la fin de la décennie 2000 était celle de la prudence. La formule qui résumait les principes guidant la conduite de la politique étrangère était alors de : « cacher ses talents et entretenir l’obscurité ».


Tout en respectant les principes édictés par Deng Xiaoping les Chinois ont petit à petit pris conscience, au cours des années 2000, de la nécessité de s’impliquer davantage sur la scène internationale compte tenu de la croissance considérable de leur potentiel économique, financier et commercial. Ce dernier avait d’ailleurs bénéficié de l’adhésion de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001. Les dirigeants chinois vont, en quelque sorte, annoncer la couleur en utilisant, dans un premier temps, des thèmes à connotation confucéenne et historique comme la figure emblématique de Zheng He, le grand navigateur chinois de la dynastie Ming qui a été utilisée comme symbole hagiographique de la politique extérieure de la Chine. Trois principes étaient mis en avant avec l’évocation de Zheng: la grandeur de la civilisation chinoise, les traditions maritimes de la Chine et la volonté d’établir des relations pacifiques avec le monde extérieur.. La Chine redevenue un grand acteur sur la scène internationale entendait ainsi afficher sa volonté d’y jouer désormais un rôle, certes pacifique mais en tout cas déterminé, à la hauteur de ses capacités retrouvées. Au moment où cet effort de communication était entrepris à destination de l’étranger, la même figure de Zheng He prenait aussi une couleur plus nationaliste qui permettait de montrer la grandeur de la civilisation chinoise et l’importance des valeurs néo-confucianistes. Le nationalisme devenait une des autres références des autorités chinoises.


La décennie 2010 est celle de l’affermissement de la Chine sur la scène internationale

Plusieurs déterminants tant internes qu’externe vont pousser les dirigeants chinois à faire évoluer la politique étrangère du pays dans le sens d’un plus grand engagement dans les relations internationales. Le facteur externe déclencheur de la transformation de la politique extérieure chinoise est lié à la crise financière de 2008. Les Chinois ont réalisé alors combien leurs finances publiques, et donc leur économie, étaient devenues, à ce point, dépendantes des conditions financières et économiques prévalant aux Etats-Unis. Ces derniers en cherchant à recréer de la demande intérieure par le recourt à la planche à billets pouvaient, à leur gré, faire baisser la valeur du dollar et par conséquent la valeur des réserves extérieures chinoises largement libellées dans cette monnaie.


En 2009, Wang Qishan alors un des nombreux vice-premiers ministres, actuellement un des alliés les plus proches de Xi Jinping au Comité permanent du Politburo, fut chargé de promouvoir l’usage de la monnaie chinoise le renminbi dans les règlements commerciaux internationaux et pour les investissements chinois à l’étranger. Au-delà de sa dimension financière, l’objectif était stratégique : découpler par étape la Chine de sa dépendance financière à l’égard des Etats-Unis et de leur influence sur sa politique monétaire interne. Du côté des déterminants internes il convient de mentionner le besoin en énergie de plus en plus croissant incitant les dirigeants chinois à amplifier les relations politiques existantes avec de nombreux pays afin de pouvoir conclure des accords notamment liés aux questions de l’énergie dont les besoins sont colossaux.


La nouvelle orientation de la politique étrangère sera rapidement affichée après l’arrivée au pouvoir du tandem Xi Jinping- Li Keqiang. Depuis plusieurs années certains chercheurs, avec vraisemblablement le soutien de personnages politiques d’importance, s’interrogeaient sur la nature de la politique étrangère mené jusqu’alors par Beijing. Certains vont se plonger dans la très longue histoire chinoise pour tirer des enseignements pour le temps présent. C’est ainsi, par exemple, dans un livre paru en 2007 Pensée de l’Ancienne Chine et puissance chinoise contemporaine (publié en anglais en 2011[1]) l’auteur s’interroge sur la façon dont la Chine agira sur la scène internationale lorsqu’elle aura le statut de 1ère puissance économique mondiale. Se référant à la période d’avant les Qin, avec laquelle il trouve certaine similarité avec l’époque contemporaine, Il affirme que deux voies s’offrent à Beijing. Celle de l’hégémonie au sens traditionnel ou une voie beaucoup plus subtile où se mélange primauté économique et modération dans l’exercice de la puissance. Seule cette dernière attitude évitera la collision directe avec d’autres grandes puissances comme les Etats-Unis. De leur côté des chercheurs de la prestigieuse université Tsinghua, (Xu Jin[2]), dénonçaient ce qu’ils considéraient être des « mythes » dominants de la politique extérieure chinoise jusqu’à la fin de la décennie 2000 : la Chine doit adopter un profil bas en matière de politique étrangère ; elle n’a pas à rechercher d’alliance ; elle ne doit pas ambitionner le leadership mondial ; elle ne deviendra pas une superpuissance ; la relation sino-américaine est la plus importante des relations entre la Chine et les pays étrangers ; la politique étrangère du pays doit être au seul service du développement économique du pays. Ces réflexions dont la publicité ne pouvait se concevoir sans un assentiment implicite des autorités préparaient à un aggiornamento de la politique extérieure chinoise. Celui-ci a eu lieu en novembre 2014 où une ligne majoritaire favorable à une plus grande affirmation des intérêts chinois sur la scène internationale a été choisie par Xi Jinping. La Chine, passée d’acteur majeur à celui d’acteur principal de l’économie mondiale doit travailler à modifier l’ordre international qui ne reflète plus la hiérarchie des puissances.


[1] “Ancient Chinese thought, modern Chinese power”, Yan Xuetong. Edité par Daniel A. Bell & Sun Zhe. Traduction de Edmund Ryden. Princeton University Press, 2011.


Marc Julienne

« Politique de défense et ambitions stratégiques dans la Chine de Xi Jinping »


Après son arrivée au pouvoir en 2012-2013, le président Xi Jinping a initié une vaste réforme de l’appareil de sécurité national, tant dans la sphère de la sécurité publique que dans la sphère militaire qui nous intéresse ici. La réflexion sur la réforme de l’Armée populaire de libération (APL) a été lancée officiellement lors du 3ème Plénum du 18ème Congrès du parti communiste en novembre 2013, et les premières mesures ont été annoncées à partir de septembre 2015.


Xi Jinping et la réforme de l’Armée populaire de libération (APL)

La réforme de l’APL porte principalement sur trois dimensions : la structure des forces, la chaine de commandement et l’idéologie.


La structure des forces 


En septembre 2015 a été annoncée la réduction des effectifs de l’armée de 300 000 personnels. Il s’agit de la troisième réduction d’effectifs depuis les années 1980. Fin décembre 2015, la Force de la Seconde Artillerie, en charge de l’arsenal balistique conventionnel et nucléaire, est devenue la Force des lanceurs (Rocket Force) et a été élevée au rang « d’armée » (军) au même titre que les armées de terre, de l’air et la marine. De 1966 à 2015, elle avait le rang de « force » (部队). La Force de soutien stratégique a également été constituée fin 2015. Ses missions restent relativement obscures mais il semblerait qu’elle apporte un soutien aux opérations en matière de guerre électronique. Les forces terrestres, qui étaient précédemment sous le commandement direct de la Commission militaire centrale (CMC), ont été dotées d’un état-major particulier. Enfin, en septembre 2016, une nouvelle force a été créée, la Force de soutien logistique interarmées, qui dispose d’un état-major à Wuhan et de cinq centres à travers le territoire.


La chaîne de commandement


L’organisation de la chaine de commandement au sein de l’APL a été profondément restructurée. Les quatre puissants départements généraux (état-major, politique, logistique et armement), sur le modèle desquels était calquée l’ensemble de la structure organisationnelle de l’armée, ont été absorbés au sein de la CMC, et leurs prérogatives éclatées en 15 départements, commissions et bureaux.

Les sept régions militaires qui couvraient l’ensemble du territoire chinois ont été transformées en cinq « zones de combat ». Enfin, en avril 2016 a été constitué le Centre de commandement interarmées des opérations de la CMC.


Le contrôle absolu du parti sur l’armée


La réforme de l’armée passe par la lutte contre deux écueils : le manque d’idéologie et la corruption.

Pour ce faire, Xi Jinping œuvre pour renforcer le contrôle politique de l’armée et appliquer une discipline stricte. L’absorption des quatre ex-Départements généraux au sein de la CMC vise en particulier à briser les factions et les réseaux d’influence au sein des armées. Le commandement direct de la CMC sur les quatre armées et la force de soutien stratégique, ainsi que sur les cinq zones de combat permet également de raccourcir la chaine de commandement. La CMC, présidée par Xi Jinping, a désormais un contrôle direct sur l’ensemble des forces.


Afin de renforcer le contrôle de la discipline, de l’idéologie et la bonne mise en œuvre des réformes, la CMC a été dotée de trois nouveaux organes :


La Commission de l’inspection de la discipline : puissant organe de lutte contre la corruption au sein du Parti, elle peut désormais opérer directement dans l’armée, à tous les niveaux hiérarchiques.


La Commission politique et judiciaire : le plus haut organe décisionnel et de contrôle de l’appareil de sécurité publique a désormais son semblable dans l’armée, à tous les niveaux hiérarchiques.


Le Bureau de l’audit : qui vise à suivre l’efficience de la mise en œuvre de la réforme.




Le contrôle absolu du parti sur l’armée signifie de plus en plus le contrôle de Xi Jinping sur l’armée. En tant que président de la toute puissante CMC, et en tant que Commandant en chef du Centre de commandement interarmées des opérations, nouvelle fonction créée en avril 2016, Xi Jinping assoit sa position de chef suprême de l’APL. En outre, le 6ème Plénum du 18e Congrès, tenu fin octobre 2016, a entériné l’expression de « core leader » du parti associée à Xi Jinping. Cette expression honorifique avait par le passé été attribuée à Mao Zedong, Deng Xiaoping et Jiang Zemin.


Les ambitions stratégiques de l’APL

La grande ambition stratégique chinoise pour l’horizon 2049 (anniversaire du siècle de la République populaire de Chine), telle que formulée par Xi Jinping, est de réaliser le « rêve chinois », à savoir redonner à la Chine son prestige perdu et en faire une grande puissance, y compris militaire.


Construire une armée professionnelle, flexible, complète et projetable


Pour atteindre cet objectif, l’APL doit se moderniser en se dotant de forces professionnalisées, flexibles, complètes et projetables. La formation des troupes doit être plus spécialisée et les militaires doivent se recentrer sur leur corps de métiers. A ce titre, les activités commerciales de l’APL sont désormais interdites (services médicaux, location d’immobilier, organisation de réceptions, etc.). Une importance particulière est accordée à l’interopérabilité des forces dans le contexte d’opérations interarmées. Le Centre de commandement interarmées des opérations et la Force de soutien logistique interarmées ont d’ailleurs été créés à cette fin. L’APL doit également être une armée flexible et complète, dotée d’équipements adaptables pour plusieurs types de missions (frégates multimissions Type 054A, chasseurs multirôles J-10 et J-20), maitrisant les environnements terrestres, navals, aériens, spatiaux et cybernétiques et disposant d’un large arsenal de technologies. Les capacités balistiques démontrent par exemple une grande flexibilité avec un arsenal relativement complet de missiles intercontinentaux, tactiques et de moyenne portée, conventionnels et nucléaires (parfois même convertibles), ainsi que des programmes de missiles mirvés et de véhicules hypersoniques.


Aussi, la Chine est passée en 60 ans d’une politique de défense strictement de son territoire et de son littoral, à une politique de défense régionale, voire capable de projeter des forces sur les océans. C’est d’ores et déjà le cas avec les missions de lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden et l’établissement d’une base logistique à Djibouti.


La stratégie de « défense active »


La politique chinoise de défense régionale est mise en œuvre via la stratégie de « défense active » qui se caractérise par la capacité d’interdiction (si nécessaire) de l’accès des forces américaines dans la zone de la première chaîne d’îles, constituée par le Japon, Taiwan, les Philippines, l’Indonésie et la Malaisie.


Cette stratégie d’interdiction se traduit par des programmes d’armements ambitieux comprenant des missiles balistiques antinavires (DF-21D), des bâtiments de surface (frégates Type 054A, destroyers Type 052D), des sous-marins (SSK Type 039A et SNA Type 093B), des chasseurs (J-10B, J-11B, J-15, J-20), des systèmes de défense anti-aérien (HQ-9, HQ-16), ainsi que le programme de porte-avions (le Liaoning et ses futurs successeurs) et des systèmes d’observation satellitaires.


La stratégie de « défense active » est renforcée par une stratégie de découplage, qui use des canaux non seulement militaires, mais aussi diplomatiques et économiques, et qui vise à briser le réseau d’alliances américain dans la région que Pékin perçoit comme un encerclement. Cet encerclement a d’ailleurs été accentué sous la dernière administration Obama par la politique de rééquilibrage stratégique vers l’Asie.


Le revirement diplomatique des Philippines en faveur de la RPC, opéré par le nouveau président Rodrigo Duterte en octobre 2016, est une opportunité inespérée pour Pékin, qui fera tout pour inciter Manille à remettre en cause l’alliance avec les États-Unis.


La politique chinoise de défense dans les années à venir restera constante dans sa réforme et sa modernisation, mais le contexte régional pourrait évoluer significativement – possiblement en faveur de la RPC – et notamment avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui pourrait mener une politique moins engagée en Asie.



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