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L'AMÉRIQUE DE DONALD TRUMP : INTERROGATIONS ET DÉFIS

Conférence-débat, organisée le 16 février 2017 en partenariat avec le Centre Thucydide et l'Association Minerve.


Avec


Célia BELIN, Chargée de mission, Etats-Unis au Centre d’analyse, de Prévision et de Stratégie au Ministère des Affaires Etrangères et du Développement international.


Yves BOYER, professeur émérite de l’Ecole polytechnique.


Benjamin HADDAD, Research fellow au Hudson Institute (Washington), spécialiste des relations transatlantiques.


Nicole VILBOUX, chercheure associée à la Fondation pour la Recherche Stratégique; maître de conférence à l’Institut catholique de Paris.


Professeur Serge SUR, Président du Conseil d’Orientation du Centre Thucydide, Université Panthéon-Assas (Paris 2), directeur de l’Annuaire Français de Relations Internationales (AFRI).


Une Amérique nouvelle ? 

Célia BELIN



Un peu plus d’un mois après l’investiture de Donald Trump, c’est une impression de chaos qui règne. La campagne a divisé l’Amérique, et le nouveau président, qui n’a pas gagné le vote populaire (Clinton a remporté 65.8 millions de voix (48%), Trump a 63 millions (46%)) arrive au pouvoir avec des chiffres d’approbation désastreux : 42% d’avis favorables, contre 50% d’avis défavorables. Les 3 premières semaines de son mandat ont été marquées par des manifestations géantes au lendemain de son investiture (Women’s march), une opposition massive face à son « immigration travel ban », de nombreux scandales, maladresses et controverses, un torrent de fuites sorti de la nouvelle administration -beaucoup provenant de la Maison blanche-, la démission de Mike Flynn – démission la plus rapide de l’histoire pour un Conseiller à la sécurité nationale -, et une série d’enquêtes et révélations du FBI et de la CIA -y compris sur les discriminations dans les propriétés de Donald Trump-.

Cependant, au milieu de ce chaos, quelques certitudes.


La première est que Donald Trump reste légitime, car légitimement élu et soutenu par une grande partie de la population et de la classe politique américaine. Donald Trump est trop souvent sous-estimé, or il faut lui reconnaitre une très forte intuition politique, un grand talent de communicant et une habileté certaine à jouer sur les fibres nationalo-populistes.


Oui, Donald Trump n’a pas gagné le vote populaire, mais rapelons-nous que le système américain ne fonctionne pas sur cette logique. Ce qui compte, est que Trump l’ait emporté dans les Etats stratégiques pour gagner le collège électoral. Or il l’a emporté de 50 000 voix dans le Wisconsin et la Pennsylvanie et à peine 10 000 voix dans le Michigan… victoire d’une courte tête mais qui a fait toute la différence.

Le basculement est resté modeste : sur 50 États, seuls 6 changent de couleur et basculent du bleu démocrate au rouge républicain entre 2012 et 2016 : la Floride (29 grands électeurs), la Pennsylvanie (20), l’Ohio (18), le Michigan (16), le Wisconsin (10) et l’Iowa (6).


Qui a voté pour Donad Trump ? Ce n’est pas seulement le « whitelash » (contraction de « white backlash ») : les hommes blancs ont voté pour Trump à 63%, mais aussi les femmes blanches à 53% (seulement 43% pour Hillary Clinton), 13% des hommes noirs américains (seulement 4% des femmes noires), 1/3 des hommes latinos et 81% des évangéliques blancs. Les pauvres ont plutôt voté Hillary Clinton, et les riches Donald Trump (il gagne tous les segments au-delà de 50 000 dollars/an). Enfin, les républicains ont voté Trump à 90%, ce qui montrent que, malgré une primaire clivante, il n’y a pas eu défection de l’électorat partisan. Hillary Clinton a perdu du terrain partout par rapport à Obama, même chez les femmes. Le pays s’est très fortement polarisé, ce qui a changé les comportements de vote : les villes ont voté à 59% pour Clinton, les campagnes à 62% pour Trump.


Ce qui a compté également, ce sont les rebondissements de dernière minute de la campagne. Les late deciders ont plutôt penché en faveur du candidat républicain : parmi

ceux qui se sont décidés dans les derniers jours précédant le 8 novembre, 46 % ont voté pour Trump et 44 % pour Clinton ; pour ceux qui se sont décidés dans la dernière semaine, 50 % se sont prononcés pour Trump et 38 % pour Clinton (cf. article de Vincent Michelot, « Une révolte programmée ? L’élection de Donald Trump », Le Débat, 2017/1, n°193).


Malgré la situation de chaos actuel et les allusions faites à un impeachment possible, une destitution de Donald Trump reste à ce stade hautement improbable. En effet, le nouveau président répond aux attentes d’une partie importante des Américains et il y a une déconnection profonde entre l’Amérique des côtes et celle du centre (que l’on appelle parfois avec un certain mépris fly-over country). Ces dernières années ont connu un accroissement massif des inégalités, accompagné de l’impression que les élites cosmopolites éduquées ont oublié la classe moyenne. Les inégalités de revenus se sont creusées d’environ 25 % entre 1968 et 2014. 1 % d’Américains les plus aisés possèdent 20 % du total des revenus avant impôt en 2013, contre la moitié en 1980. Depuis 2009, les 90 % les moins riches se sont appauvris pendant que le top 1 % s’appropriait 95 % de la croissance. À l’autre bout du spectre, la richesse nette des 20 % des ménages les moins aisés a chuté de 26 % entre 2007 et 2013 contre une baisse de 2,3 % en moyenne pour l’ensemble des ménages sur la période. Sans compter l’augmentation de la pauvreté (en 2000, 11,3 % de la population totale était en situation de pauvreté contre 14,3 % en 2015) et le creusement d’inégalités territoriales et entre les sexes (les hommes diplômés du secondaire ont perdu 21 % de salaire en termes réels entre 1979 et 2013 ; ceux qui n’ont pas terminé le lycée ont perdu 34 %). Il y a donc une véritable demande de protection de la part d’une partie de la population américaine, en particulier rurale, masculine et issue de la classe moyenne. Ceux qui représentaient dans la seconde moitié du 20ème siècle la force vive du rêve américain, et qui se sentent profondément déconsidérés aujourd’hui. Toutes ces attentes se sont incarnées dan la personnalité de Donald Trump.


Par ailleurs, les démocrates ne sont pas en ordre de bataille : ils ont été durement affectés par l’échec d’Hillary Clinton, sont profondément divisés entre les partisans de l’identity politics et les combattants sur le front de l’économie (Elisabeth Warren/ Bernie Sanders) et souffrent du manque de renouvellement de leurs leaders : Kamala Harris, Corey Booker n’ont pas encore de vraie stature nationale. Le bilan est que le parti démocrate a perdu beaucoup de terrain sur le front local pendant l’Administration Obama : le parti a perdu plus de 900 sièges en huit ans dans les législatures d’Etat, il leur reste seulement 15 gouverneurs, et 34 Etats sont contrôlés à 100% par le GOP. Le parti doit se reconstruire. Selon Reta Jo Lewis, directrice des affaires congressistes au German Marshall Fund, qui a travaillé au département d’État sous Clinton et Kerry, le parti a besoin de repartir de la base : reconstruction des syndicats pour protéger contre les effets de la désintermédiation, et mobilisation autour des villes et des Etats dits « sanctuaires » (qui protègent les immigrés illégaux) ; car le combat viendra de la mobilisation citoyenne.


Enfin, et surtout, il faut considérer que les républicains ne sont pas prêts à lâcher leur président, or leur appui est nécessaire pour destituer Donald Trump lors d’une procédure d’impeachment… Les républicains resteront autant que possible fidèle au président qui leur a rendu les rênes du pouvoir, y compris bientôt à la Cour Suprême.

Alors quels scénarios envisager ? Je pense à deux possibilités : 1/ le « chaos confrontationnel », où l’impréparation, l’amateurisme, les fuites, et les confrontations constantes entre la volonté présidentielle et le Congrès rend difficile la mise en place de politique majeure ; 2/ la « digestion » où Donald Trump est isolé, éloigné de ses conseillers les plus idéologues, pris en main par les caciques du parti républicain, qui le laissent tweeter tout en essayant de le « contenir », et peuvent ainsi mener la politique conservatrice qu’ils souhaitent. L’on voit déjà se dessiner un mélange de ces deux options, qui pourrait être une troisième voie : Donald Trump applique son programme radical et populiste, contraint toutefois par la réalité de certains contre-pouvoirs, notamment la justice et le Congrès, limitant les aspects les plus excessifs de ces choix politiques, tout en gardant le combat politique et médiatique comme carburant pour son action.


Jusqu’où peut aller l’opposition politique aux États-Unis entre Trump et ses adversaires ?

Yves BOYER


La situation politique qui prévaut actuellement aux Etats-Unis est pour le moins paradoxale. Un nouveau président est à la Maison Blanche mais son pouvoir est contesté par une frange importante de la population américaine qu’effraie la personnalité de Trump. Cette situation présente des aspects inquiétants et parfois irrationnels, cocasses pourrait-on dire si les enjeux n’étaient pas aussi graves.


Doit-on prier pour Trump s’interrogeait ainsi un éditorialiste du Washington Post (WP) ? Le conseil des évêques de l’Église évangélique méthodiste afro-américaine a déjà répondu par la négative car, affirme-t-il, les récentes mesures prises par l’administration Trump étaient « clairement des actes démoniaques ».


Voici donc un exemple parmi tant d’autres des tensions qui existent désormais au sein de la société américaine. Cette situation préexistait bien évidemment avant Trump, son élection les a révélées au grand jour et en même temps les a exacerbées, à tel point qu’un commentateur de la vie politique aux Etats-Unis déclarait récemment que « la haine séparant les deux camps n’est pas moindre et peut-être pire que celle qui séparait Sudistes et Nordistes lorsque commença la Guerre de sécession en 1861 ». Dans sa majorité, la classe moyenne blanche qu’Hillary Clinton avait décrite en la caricaturant comme étant « raciste, sexiste, homophobe, xénophobe, et islamophobe » a élu Trump, elle ne se laissera pas facilement priver de sa victoire et l’idée d’affrontements entre pro et anti Trump n’est plus une vue de l’esprit. Force est de constater, sans outrance, qu’un climat d’avant-guerre civile plane dans l’air, on relève à ce sujet des tweet qui ne laissent pas d’inquiéter par ce qu’ils révèlent de l’état d’esprit qui existe dans certaines franges de la population américaine.


Ces divisions portent sur de nombreux sujets. Bien sûr, le renforcement de la sécurité des frontières américaines au sud  et le durcissement des conditions d’entrée aux Etats-Unis suscitent l’hostilité des milieux libéraux. Le nombre d’immigrants récents, en grande partie latinos, vivant aux États-Unis a plus que triplé depuis 1970, passant de 9,6 millions à 40,4 millions en 2011 passant ainsi de 4,7% du total en 1970 à 15% en 2012. A ce chiffre il convient d’ajouter de l’ordre de 11 millions d’immigrants clandestins en 2015. 60% de la population immigrée récente vit dans 5 états : Californie (10,2M), New York (4,3), Texas (4,2), Floride (3,7) et New Jersey (1,9) ; Californie et état de New York à majorité démocrate sont en pointe dans le combat contre le décret du 27 janvier. La lutte contre l’outsourcing en matière d’emploi, la question climatique et de l’environnement avec l’exploitation des schistes bitumineux pour conforter l’indépendance énergétique du pays, le mercantilisme nationaliste, sont autant d’autres points qui divisent la société américaine. La polarisation de chaque camp atteint un seuil préoccupant notamment, mais pas exclusivement, sur les questions sociétales et sur ce que l’on appellerait en France le vivre ensemble : le droit des minorités y compris sexuelles représenté par l’important lobby LGBT, les questions liées au genre, la fin de l’Obamacare, etc. sont autant de pomme de discordes. Sur ces sujets, Trump a su rallier la communauté évangéliste américaine très conservatrice sur la question des mœurs. Cette communauté estimée à 80 millions de personnes lui a permis de l’emporter aux primaires en Caroline du Sud, Alabama, Géorgie, Mississippi et Tennessee. Ce Fly-over country, celui, pour reprendre, l’expression d’Hillary Clinton des « déplorables », qui pensent que les nantis des côtes Est et ouest ne font que le survoler ; celui de la classe moyenne américaine blanche qui s’est appauvrie et qui reste encore pour peu de temps minorité majoritaire. Trump l’a séduite et lui apporte satisfaction en commençant à mettre en œuvre son programme. Il laisse, par exemple, le vice-président Mike Pence participer à la marche pro-vie du 27 janvier dernier. En choisissant Neil Gorsuch pour occuper le neuvième siège vacant de la Cour suprême, il conforte la droite conservatrice ce qui lui a valu un satisfecit de la part des frères Koch d’importants soutiens financiers aux causes conservatrices qui pèsent de l’ordre de 80 Mds de $. Rappelons-nous qu’en Amérique le business, c’est le dollar, marqueur de la vie sociale et politique avec souvent tellement d’excès que, déjà, en son temps Stendhal en dénonçaient les effets pernicieux faisant dire à Lucien Leuwen : « je m’ennuierais en Amérique, au milieu d’hommes parfaitement justes et raisonnables, si l’on veut, mais incapables d’idées fines, grossiers, ne songeant qu’aux dollars ».


Cela m’amène à évoquer la personnalité de Trump. Celle-ci continue à faire l’objet d’interrogations liées à son comportement, à sa façon impulsive de réagir aux évènements, son népotisme aussi. Déjà, tout au long de la campagne présidentielle Trump avait été décrié et vilipendé. Dans le WP du 25 février 2016, le pape des néoconservateurs en politique étrangère, Robert Kagan, menait la charge dans un éditorial intitulé Trump: the Frankenstein’s monster. Aujourd’hui avec les débuts chaotiques de son administration, des commentateurs s’interrogent sur sa capacité de discernement, sa stabilité mentale et sa précipitation surprenante à prendre des mesures mal ficelées comme le décret du 27 janvier sur l’immigration. Dans les milieux libéraux,  sans n’y voir aucun ridicule, on s’interroge : serait-il un nouvel Hitler? A Davos, en février dernier, George Soros, qui finance de nombreuses associations combattant Trump, traitait ce dernier d’imposteur et d’escroc, prédisant qu’il ne tiendrait pas 2 ans à la Maison Blanche. L’outrance est dans tous les camps celui du président et celui de ses opposants, c’est ce qui rend la situation intérieure aux États-Unis préoccupante.


Au sein d’une grande partie de l’establishment culturel, journalistique, politique, y compris chez certains républicains et du monde des affaires lié aux technologies de l’information, l’opposition à Trump s’est très rapidement manifestée. Il y a un an lors du forum mondial annuel de l’American Enterprise Institute auxquels participaient notamment Tim Cook le patron d’Apple, Larry Page celui de Google et Elon Musk celui de Tesla and SpaceX ainsi que des leaders républicains comme Mitch McConnell (R-Ky.), Paul Ryan (R-Wis.), une des questions débattue était de savoir s’il fallait stopper la course à la Maison Blanche de Donald Trump? Fallait-il torpiller la candidature de Trump comme en 1964 lorsque la candidature de Barry Goldwater avait été sabotée entrainant dans sa chute de nombreux candidats Républicains défaits lors des élections au Congrès ou, fallait-il, comme en en 1980, à propos de Reagan, bien qu’il fut tenu en faible estime, le soutenir et ainsi éviter la débâcle lors des élections sénatoriales et à la Chambre ? C’est cette solution qui a été choisie le ralliement de Ryan et de Mitch McConnell à Trump en porte témoignage.


Aujourd’hui, l’opposition à Trump se manifeste particulièrement dans les milieux culturels acquis à la cause d’Hillary Clinton avec des artistes comme Meryl Streep prenant la tête de la révolte d’Hollywood contre Trump ; elle se manifeste à travers les réseaux sociaux, dans des manifestations de rue et dans les medias à commencer par le WP et le New York Times (NYT) qui ne cessent de titrer à boulet rouge contre Trump. Encore récemment le NYT (27/1/17) se demandait si Trump était un menteur ou un fou ? Le directeur du NYT, Mark Thompson ancien directeur de la BBC, appartient aux milieux ultralibéraux et libertaires ; le WP est contrôlé par Jeffrey Bezos patron d’Amazon qui avec les autres GAFA va s’insurger contre le décret du 27 janvier sur les restrictions à l’entrée aux E-U. Des célébrités comme Beau Willimon qui a adapté aux USA House of Cards a lancé un manifeste de résistance à Trump. Soutien du parti démocrate il avait jadis travaillé pour Charles Schumer un des plus virulent opposant démocrate à Trump. Les attaques sont incessantes et proviennent de tous les côtés. Elles semblent aujourd’hui se concentrer sur les collaborateurs les plus proches du président avec comme objectif celui de l’isoler: hier c’était le général Flynn - dont la chute est sans doute due à d’autres facteurs que ses liens présumés avec des milieux russes-, demain peut-être Kellyanne Conway – l’offensive est lancée-, puis Steve Miller pour finir par Steve Bannon. Cette offensive se déploie au moment où Trump peine à former son équipe gouvernementale. Malgré la majorité républicaine, les sénateurs démocrates ralentissent par différents artifices la confirmation des ministres et secrétaires d’Etat le processus est le plus long depuis la mise sur pied du cabinet de George Washington et bien évidemment cela retarde le moment où il pourra mettre son équipe en ordre de marche. Pour l’instant malgré ces délais Trump ne s’en tire pas trop mal, seul Andrew Puzder pressenti comme Labor Secretary a connu un échec.


Il faut dire que la dégradation du mode de fonctionnement constitutionnel et politique américain observé depuis le début de la décennie 2000 a conduit à des disfonctionnements qui pourraient s’avérer préoccupants pour la bonne marche de la vie démocratique américaine. Elle n’engendre pas de ruptures dans la prise de décisions des autorités, y compris dans la fabrique de la politique étrangère américaine, mais elle la rend plus difficile et lui donne parfois une orientation confuse et hésitante. Certains observateurs de la vie politique américaine expliquent ce phénomène par le poids devenu excessif d’un « Etat profond » (deep state) qui finit par fausser le jeu démocratique par des décisions « entre soi », en dehors des instances politiques habilitées. Les décisions deviennent occultes et obéissent à des logiques qui s’éloignent de l’intérêt public. Il existe bien aux Etats-Unis une dérive dans ce sens. Elle n’est pas nouvelle. En son temps, déjà, le président Woodrow Wilson s’inquiétait du pouvoir accordé à certains responsables non élus. Aujourd’hui, à l’oligarchie constituée traditionnellement par les milieux d’affaires – et Trump ne s’est pas privé de recruter des personnalités qui en sont issues notamment de la banque Goldman Sachs imitant en cela Franklin Roosevelt et Bill Clinton- s’ajoute l’existence de  pouvoirs parallèles à ceux qui découlent de l’organisation constitutionnelle et où se retrouvent des hauts responsables du Département de la Défense, du State Department, du Trésor, de la CIA, plus ou moins coordonnés par l’Executive Office du président, le complexe militaro-industriel incarnés par les Beltway Bandits ces grandes firmes d’armement dont les sièges sociaux sont implantés en périphérie de la capitale fédérale, rejoints depuis peu par ceux de la Sillicon Valley. L’influence sur la marche des affaires de l’Etat américain par les acteurs du deep state s’est fortement amplifiée depuis les attentats du World Trade Center en septembre 2001. Cette galaxie d’instances diverses « fabrique » les choix de l’Exécutif américain. Les vues dissidentes y sont rares par une assimilation culturelle qui se traduit par une sorte de consensus. La « pensée groupale » - group thinking- se diffuse des décideurs vers l’opinion publique et de celle-ci vers le Congrès. On voit ainsi apparaître une forme de pouvoir oligarchique. L’arrivée au pouvoir de Trump s’il réussit à surmonter les obstacles qui se trouvent sur son chemin pourrait arriver à bouleverser ce mode de fonctionnement.


Avec Trump il est fort probable qu’en matière de politique étrangère on assiste à une relégation de l’idéalisme wilsonien qui peu ou prou l’a inspirée depuis plusieurs décennies. C’est avec Woodrow Wilson qu’est apparue, outre-Atlantique, l’idée selon laquelle la démocratie étant d’essence supérieure à toute autre forme d’organisation politique, les États-Unis devaient, au nom des principes moraux qui sont les leurs, l’étendre à l’ensemble des pays de la planète. La version contemporaine de cette politique est celle du regime change destinée à substituer à l’autoritarisme ou à la dictature la démocratie. Cette stratégie permet aussi à la grande industrie et aux banques américaines de projeter leur influence. Ils deviennent, entre 1918 et 2015, l’essence et le vecteur du leadership mondial des Etats-Unis. La crise financière de 2008 et l’endettement colossal des Etats-Unis vont mettre à mal cet édifice de même que les guerres d’Afghanistan et d’Irak, vont sérieusement écorner l’idéal wilsonien. Trump ne semble pas y adhérer d’autant plus que le fondement d’une politique étrangère bâtie sur l’affichage de principes moraux demeure solide pour autant qu’il soit étayé par une suprématie militaire sans défaut et l’incapacité pour d’autres acteurs d’imprimer aux événements une dynamique politique susceptible de rebattre les cartes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.


Avec quel président Trump, qui est tellement atypique, peut-il être comparé ? Serait-ce un nouvel Andrew Jackson, un avatar de Theodore Roosevelt comme le soutien Steve Bannon ou bien faut-il le rapprocher du 17ème président, Andrew Johnson, vice-président de Lincoln, qui hérite de la fonction après l’assassinat de ce dernier. Sa présidence fut chaotique, celle de Trump le sera-t-elle ? L’espoir des milieux libéraux est de le voir renoncer à sa charge constitutionnelles soit à l’issue d’une procédure d’impeachment déclenchée à son encontre comme le prévoit l'article II de la Constitution des États-Unis soit du fait d’un recourt à la procédure prévue par le 25ème amendement de la Constitution qui permet, par un vote à la majorité des 2/3 du Congrès, de déclarer le président incapable d’exercer son mandat. D’autres opposants à Trump sont plus radicaux et n’hésitent pas à appeler au meurtre, un rappeur de Detroit, Big Sean, chante par exemple « I might just kill ISIS with the same pick that I murder DT in the same night ». Selon les services de sécurité on ne compte plus les innombrables tweet appelant au meurtre du président ; le mouvement existe hors d’Europe, on se souvient à cet égard des propos à peine voilé du journaliste allemand Josef Joffe de Die Zeit lors d’une émission de la chaine de télévision ARD évoquant un meurtre à la Maison Blanche.


Il serait, pour autant, hasardeux et en tout cas prématuré de considérer que, comme le présage George Soros, Donald Trump finira par trébucher et n’achèvera pas son mandat. Il ne décroche pas dans l’opinion publique. Son discours inaugural a reçu un accueil favorable de la base républicaine notamment sur l’accaparement du pouvoir par l’oligarchie washingtonienne. Son décret du 27 janvier sur l’interdiction temporaire de l’entrée aux Etats-Unis des ressortissants de 7 pays reste en majorité approuvé par la même base. A ce sujet il convient de rappeler à ceux qui n’ont pas lu le décret que le terme musulman n’est pas une seule fois mentionné et que les 7 pays ciblés ne représentent que 12% de la population musulmane mondiale. En fait, une partie de l’opposition se concentre sur la remise en cause du visa H-1B (de l’ordre de 65 à 80 000 personnes par an) qui permet notamment aux sociétés hightech de Californie (Microsoft, Google, IBM, Cisco, Apple, etc.) ou encore à Hollywood, et Meryl Streep l’a rappelé aux Golden Awards, de faire de l’outsourcing en recrutant à l’étranger des acteurs, mais surtout des ingénieurs et des programmateurs de grande qualité, notamment sur le marché indien, et de les rémunérer à des taux beaucoup plus bas que leurs homologues américains. Ce processus d’outsourcing est évidemment un procédé que Trump a combattu lors de la campagne électorale. La réaction des firmes incriminées a été rapide. Les donations arrivent en quantité à l’ACLU (American Civil Liberties Union) pour s’opposer à l’application du décret, Google a mis sur pied, par exemple, un fond de crise de 2 million de $ au profit d’ACLU et de de l’Immigrant Legal Resources Center, etc. Dans le même temps, a contrario, certains membres de l’administration du contrôle des frontières ont refusé, dans un premier temps, d’obéir à l’injonction des juges suspendant l’application du décret du 27 janvier. Là où des maires démocrates ont déclaré leur cité « ville-sanctuaire », de nombreux chefs de la police ont refusé ce statut. Washington, a prévenu qu’un tel statut les priverait des fonds fédéraux, Miami a ainsi fait marche arrière alors qu’en Californie, qui a massivement voté contre Trump, les positions restent inchangées.


Les conditions du succès de Trump reposent sur une mise en ordre de la façon dont fonctionnent la Maison Blanche et plus généralement l’Exécutif ; sur un rééquilibrage au sein de l’Exécutif du courant incarné par Steve Miller et Steve Bannon par des acteurs politiques plus « centristes ». Ce qui signifie un rapprochement de Trump d’avec un certain nombre de figures importantes du Sénat et de la Chambre des Représentants, républicaines évidemment mais aussi démocrates lorsque cela est possible. L’oligarchie washingtonienne bien que malmenée par Trump reste, dans son ensemble, encore ouverte au compromis. On a pu le voir lors du diner de l’Alfalfa club le 29 janvier dernier, diner le plus prestigieux des Etats-Unis où se retrouvent les personnalités les plus influentes du pays et à l’occasion duquel le président du club, s’adressant à Ivanka Trump, a tendu la main à son père “ tell your dad we wish him as the leader of our country a healthy and successful presidency, and doing so we can build the bonds needed to bring the country together and to solve the problem facing us today “. Une autre condition de la bonne marche de l’administration tient aussi à ce que les mouvements de protestations s’essoufflent. Les responsables du parti démocrate, en tout cas ceux qui vont concourir pour leur élection ou leur réélection en 2018, se souviennent du prix payé par les Républicains à la suite des protestations enflammées du Tea Party qui avait fini par lasser une frange significative des Républicains. Surtout, le succès de son programme économique et la création d’emplois dans les zones les plus pauvres en Amérique sont la garantie du succès de la présidence Trump. Il convient, à cet égard de rappeler ce que disait un président américain, dont personne ne se souvient, Calvin Coolidge qui résumait bien l’attente de ses concitoyens “the chief business of the American people is business ».


L’avenir des relations transatlantiques avec le président Trump

Benjamin HADDAD



Si l’on regarde les dernières administrations, le vrai décideur est le président. Il ne faut donc pas sous-estimer la centralité du président dans le système américain. Sa vision du monde, ses croyances, ses visions politiques irriguent toute les politiques mises en œuvre.


A ce titre, quel que soit le jugement que l’on porte sur son projet, il est important de prendre Donald Trump au sérieux et de ne pas sous-estimer, ni son talent politique, ni la radicalité idéologique et la constance de sa vision du monde.


À ce titre, cinq éléments me semble essentiels à relever pour évaluer la politique étrangère de Donald Trump:


1- La constance de sa vision du monde.

On retrouve des interviews des années 1990 où Donald Trump déploie déjà sa vision du monde et du rôle des Etats-Unis sur la scène internationale. Ses idées sont déjà là : protectionnisme, isolationnisme, scepticisme sur l’usage de la force et sur les accords de libres échanges. Tous les ingrédients de l’ « America First » de la campagne était déjà présents.


2- Donald Trump est un business man, un négociateur. Il met toujours la barre très haut, pour être sûr d’obtenir quelque chose.


3- La tradition politique dans laquelle s’inscrit Donald Trump est la tradition jacksonienne : le peuple contre les élites, l’unilatéralisme et le réalisme poussés à l’extrême.


4- Bien que le discours et le style soient différents, il existe une forme de continuité avec l’administration Obama : Obama parlait déjà d’abandon de l’exceptionnalisme américain et de normalisation de la puissance américaine. Avec Trump, on assiste à une normalisation plus poussée certes, mais qui était déjà en germe sous Obama.

5- Pour l’instant, Donald Trump a composé ses équipes en puisant dans le vivier des Républicains traditionnels, compatibles avec l’establishment. Certes il est encore trop tôt pour dire comment ils encadreront Trump, mais cela reste un fait à souligner.


Concernant plus particulièrement l’Europe, il faut contextualiser les déclarations de Donald Trump, et distinguer ce qui relève de la provocation.


Oui, Trump a qualifié l’OTAN d’ « obsolète » pendant sa campagne, mais le Général Mattis a rapidement rappelé l’engagement robuste des Etats-Unis, notamment sur l’article 5 (selon lequel une attaque armée survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre tous).

Oui, Donald Trump est un sceptique sur le sujet de l’Union européenne : il s’est réjoui du Brexit, prévoyant que d’autres pays suivront l’exemple du Royaume-Uni… Mais il parle davantage comme un commentateur et un analyste, de là à l’imaginer entreprendre une une politique proactive anti-européenne, rien ne le laisse penser pour le moment.


La question russe reste quant à elle la grande inconnue… Trump développe une quasi fascination pour les hommes forts et entretient la volonté de s’entendre avec Poutine. Il ne sera pas le premier à vouloir relancer cette relation, mais peut-être sous-estime-t-il les différences de fond qui perdurent entre les deux puissances ?

En Europe, Donald Trump provoque parfois des réactions de quasi-hystérie. On a peut-être une vision trop caricaturale. Certes, on peut regretter la direction que prend les Etats-Unis, l’érosion de notre relation bilatérale… mais ne faut pas t il y voir également une opportunité pour nous, Européens, de prendre en charge notre propre destin ?




Quelle politique de défense sous Donald Trump ?

Nicole VILBOUX



Comme pour de nombreux autres aspects de la politique de l’Administration Trump, les orientations de la politique de défense restent difficiles à prévoir précisément quelques semaines après son entrée en fonction.


La formulation de la stratégie de défense (National Defense Strategy, NDS) n’est attendue que pour la fin de l’année 2017, puisqu’elle doit se faire en parallèle (voire théoriquement, dans la foulée) de la rédaction par la présidence de la Stratégie de sécurité nationale (NSS). La NDS exposera les missions les plus importantes ; établira les priorités en matière de posture (révision de la présence selon les régions) et définira le nouveau « contrat opérationnel » à partir duquel la structure de forces et les capacités requises doivent être déterminées. Selon les instructions données par la première directive présidentielle sur la sécurité (NSPM-1, du 27 janvier), la NDS devra s’accompagner d’une révision de la posture nucléaire (la dernière remontant à 2010) ainsi que d’une stratégie de défense antimissile.


Les premières indications sur les objectifs et choix stratégiques devraient toutefois apparaître lors de la présentation des requêtes budgétaires préparées par le Department of Defense (DoD), pour le début mai.

On notera que dans le même temps, le Pentagone a été chargé de présenter pour début mars :


* une analyse de l’état de disponibilité des forces (readiness review), qui doit servir à établir des priorités entre les activités du DoD ;


* mais aussi une stratégie pour vaincre Daech (requise par un memo présidentiel du 28 janvier, « Plan to Defeat the Islamic State of Iraq and Syria »).


Il n’est pas inhabituel qu’une nouvelle Administration entreprenne des révisions stratégiques, en particulier lorsque la majorité politique change. C’est le cas cette fois, puisque la remise à plat répond aux critiques constantes des Républicains à l’égard de la politique de l’Administration Obama, qu’ils jugent désastreuse. Cependant, le processus de révision simultané et accéléré de tous les aspects de la politique de défense est entrepris sans orientations stratégiques préalables. Cela correspond certes à la volonté du Président de laisser aux militaires le soin d’élaborer la stratégie, après des années « d’ingérence » reprochée au NSC. Mais cela souligne aussi l’absence de ligne directrice émanant des autorités politiques. Sur ce point, le dysfonctionnement complet du NSC ne contribue pas à clarifier et rationaliser des discours de campagnes peu précis.


L’augmentation de l’effort de défense est sans doute l’un des rares points de consensus au sein de l’équipe en charge de la sécurité dans l’Administration. Elle correspond au constat généralement admis dans l’ensemble de la communauté stratégique d’un contexte international dangereux, caractérisé par :


* l’affirmation de puissances dites « révisionnistes » (Chine, Russie, voire Iran);


* une évolution du « caractère de la guerre », marquée par la diffusion des technologies et le recours à des modes d’action non-conventionnels ;


* une érosion de la supériorité militaire des Etats-Unis, liée au « rattrapage » par les puissances rivales et à l’impact des baisses de crédits effectuées depuis 2011 (d’environ 20%).


Le programme annoncé par les conseillers de Donald Trump en fin de campagne1, visait donc principalement à répondre à la situation catastrophique dépeinte par les centres de recherche conservateurs2, mais aussi aux demandes récurrentes formulées par les armées et reprises par les Commissions parlementaires de défense.

Les autorisations budgétaires pour 2017 (National Defense Authorization Act entrée en vigueur en décembre) prévoient d’ores et déjà une augmentation des moyens par rapport aux requêtes de l’Administration sortante. Avec un montant de 618,7 milliards $3, le budget autorisé est supérieur de 3,2 milliards à la proposition présidentielle et permet de relever le niveau d’effectifs autorisés.


Au-delà, le programme de l’Administration Trump consiste essentiellement à annoncer une augmentation importante et générale des moyens de toutes les composantes des forces armées, dans le domaine classique comme nucléaire et cyber.


* L’Army devrait passer dans les cinq prochaines années à 540.000 et 40 brigades (BCT) au lieu de 31 actuellement ;


* l’USAF à 1.200 appareils de combat ;


* le Marine Corps à 240.000 hommes et 36 bataillons (au lieu de 24 aujourd’hui) ;


* et surtout, la Navy devrait atteindre les 346 navires, y compris 13 CBG (au lieu de 11).


L’augmentation des volumes de forces semble indispensable après des années de réduction de format, lorsqu’il s’agit d’envisager un contrat opérationnel plus ambitieux. L’objectif de la nouvelle Administration serait en effet de revenir à un appareil militaire calibré pour gagner deux guerres régionales majeures, comme le recommandait la fondation Heritage en 20154.


Dans une contribution de 2016, le général Mattis approuvait le retour à un format fondé sur « la norme historique des deux guerres », dans la mesure où cela dissuade un agresseur éventuel de profiter de l’engagement des Etats-Unis5.


Du point de vue de la posture régionale, l’importance accordée à la zone Asie-Pacifique semblait confirmée dans les déclarations de campagne. Pour les experts conservateurs, le « rebalancing » de l’Administration Obama n’a effectivement pas été mis en œuvre concrètement, ce qui a encouragé la Chine à se montrer plus agressive dans ses revendications territoriales. Il est donc là aussi très probable que l’attention portée à la région soit renforcée, ce qui correspondrait d’ailleurs à l’augmentation des forces navales.


Sur le plan du « rééquilibrage » annoncé de la structure de forces, on peut penser que l’importance accordée aux effectifs est aussi une reconnaissance des limites de la solution technologique, mise en avant par le DoD depuis 2012, pour compenser le déclin quantitatif par une « qualité » supérieure. Sans remettre en cause l’importance de l’innovation et de l’exploitation des nouvelles technologies, la tendance majoritaire est plutôt aujourd’hui d’en souligner les limites. De nombreux experts6, et le sénateur McCain également dans son programme7, préconisent la formule du « high-low mix », combinant des systèmes perfectionnés (pour contrer capacités A2/AD des adversaires majeurs) et des équipements moins sophistiqués mais plus nombreux, pour les autres missions. De ce fait l’importance accordée à la 3rd offset strategy pourrait être relativisée, dans la mesure où les préoccupations de James Mattis se concentrent sur la readiness. La modernisation des équipements étant aussi un élément d’amélioration des capacités opérationnelles, ce sera un domaine d’effort, compte tenu de retard pris ces dernières années.


Des arbitrages budgétaires seront en effet nécessaires, dans la mesure où la restauration des capacités de toutes les composantes de forces exigera des ressources considérables. Or, même l’augmentation attendue des dépenses de défense est loin d’être une certitude.


Le programme de l’Administration repose sur la remise en cause des contraintes budgétaires imposées depuis 2011 par le Budget Control Act, qui plafonne les crédits fédéraux votés annuellement, pour réduire le déficit. Toutefois, l’abrogation de la loi voulue par les “defense hawks” se heurte au refus d’un nombre non négligeable de parlementaires “deficit hawks”, qui entendent réduire drastiquement l’ensemble des dépenses fédérales, y compris la défense8. Le prochain budget sera donc un sujet de confrontation majeure entre la Maison blanche et le Congrès, dont l’issue ne peut être clairement prévue. Tout dépendra du poids des parlementaires « pro-défense » face à leurs homologues conservateurs, mais aussi aux démocrates, qui n’ont jamais accepté l’idée de privilégier les dépenses de défense au détriment des programmes sociaux.


Conclusion

Serge SUR



Il est aussi nécessaire que difficile d’analyser ce premier mois de la présidence Trump avec sérénité, tant les clivages que suscite sa personnalité et son programmes sont à vif. Certaines critiques sont notoirement excessives : pas élu par une majorité d’électeurs ? Mais les Etats-Unis sont une république fédérale, non une démocratie politique et jamais le peuple américain ne se prononce en corps, comme entité unique. America First ? Mais quel homme d’Etat ne milite pas pour que son pays soit devant ses concurrents ? Sans doute l’expression a un sens particulier pour Trump, elle signifie la nation plus que l’empire, un certain repli sur les priorités intérieures – mais il était déjà amorcé, et sous Obama Joseph Nye, commentateur avisé de la politique extérieure américaine, parlait du « retranchement » américain.


L’impression n’en prévaut pas moins d’un début de présidence chaotique, d’un président paralysé, dont l’avenir possible sinon probable est celui de l’Impeachment. Certains fourbissent déjà les armes. On parle beaucoup de mur à propos de Trump, mais le plus solide semble être celui des oppositions auxquelles il commence à se heurter. Si son élection est un symptôme du malaise américain, elle n’est pas le remède à ce malaise, qui présente aujourd’hui six dimensions, Quelques exemples pour chacune d’entre elles.


1. Médiatique : nombre de médias sont vent debout contre Trump. Le New York Times, ce Journal Officiel de l’empire américain, publie ainsi au moins cinq articles anti-Trump par jour. Les télévisions américaines dans leur majorité, les réseaux sociaux ne sont pas en reste. Tout se passe comme si la campagne n’était pas terminée.


2. Sociétal : on mesure par exemple les réactions à l’Executive Order sur l’interdiction d’accès des ressortissants de sept pays musulmans. D’autre part, mouvements féministes, minorités diverses, se mobilisent pour exprimer dans la rue leur mécontentement.


3. Judiciaire : Rejet par certaines juridictions fédérales de l’Executive Order contesté, révocation par le Président de l’Attorney général intérimaire, choix d’un nouveau juge à la Cour suprême déclenchent des polémiques. La confirmation de ce dernier par le Congrès devrait donner lieu à une belle bataille parlementaire.


4. Politique : démission rapide de certains membres du gouvernement nommés par Trump, questions soulevées par la présence à ses côtés et dans des instances officielles de son gendre ou d’idéologues très marqués à droite, liens de certains conseillers avec des intérêts russes soulèvent des questions éthiques autant que d’orientation de la présidence. La majorité républicaine du Congrès est attentiste, pour l’instant plutôt silencieuse voire inquiète, et un sénateur Républicain influent comme Mc Cain se pose en statue du Commandeur, rapide à fustiger les écarts.


5. Economique : la nomination de responsables économiques issus de l’établissement bancaire ou boursier américain, les menaces sur l’Obamacare, la réforme annoncée de la loi Dodds-Frank sur les banques semblent en porte à faux par rapport aux déclarations du candidat en faveur de l’overfly country. Même les projets de grands équipements publics, qui rappellent la TVA de Roosevelt à base d’investissements publics, sont critiqués par des économistes comme Paul Krugman, qui y voient un moyen d’enrichir encore le 1% par des crédits publics bon marché. En revanche, relocalisations et arrêt de l’immigration ne conviennent pas nécessairement aux grandes entreprises.


6. International : les flottements de la politique étrangère n’inquiètent pas seulement à l’extérieur. Ballons d’essai ou révisions déchirantes ? Les propos sur la Russie, Israël et un seul Etat, l’ambassade américaine à Jérusalem, la critique de l’accord avec l’Iran, la Chine et deux Etats. L’OTAN obsolète, l’Union européenne néfaste préoccupent particulièrement les Européens. La stratégie contre le terrorisme islamique demeure obscure. Que Trump ait demandé leur démission le jour de son investiture à tous les ambassadeurs annonce une période de latence pour la diplomatie américaine. Mais, là encore, Roosevelt pratiquait une politique de neutralité et de stricte défense des intérêts américains et il n’est pas entré volontairement dans la Seconde guerre mondiale, il y a été contraint par les puissances de l’axe.


A l’origine de ce malaise assez général lié à la nouvelle présidence, un élément objectif et un élément subjectif.


- L’imprévisibilité de Donald Trump est une stratégie annoncée par lui-même, comme élément de la négociation, et il se déclare prêt aux Deals plus qu’aux affrontements. La technique consiste à donner des coups de pied dans les murs et à s’ajuster en fonction de leur résistance. C’est aussi une forme de méthode des essais et des erreurs. Elle ne relève pas nécessairement de l’improvisation et de l’aventurisme, mais peut-être du calcul et du risque assumé. Stratégie qui contribue cependant à accroître, spécialement sur le plan international, un climat de méfiance qui en réalité existe depuis 2003 et l’intervention militaire en Iraq.


- La personnalité de Donald Trump est considérée par beaucoup comme narcissique, incontrôlable et capricieuse. Est-il une sorte de Joker dans Batman, un clown dangereux et fatiguant à quoi certains voudraient le réduire ? Si tel était le cas, il serait difficile d’échapper à l’Impeachment, pas avant deux ans cependant, mais après les Midterms qui pourraient retourner la majorité du Congrès. Ceci d’autant plus que le vice-président Pence est un responsable plus en phase avec l’esprit classique des institutions américaines. Mais il est possible aussi qu’il joue en acteur de cette personnalité pour atteindre ses objectifs, ce qui lui a plutôt réussi jusqu’à présent. On a pu au moment de la campagne se demander s’il était Catilina, Auguste ou Néron. Il est clair qu’il a des côtés néroniens, dont sa tour new-yorkaise est un symbole de marbre. Mais si la caricature qui est faite de lui correspondait à la réalité, le choix serait plutôt entre Galba, Othon, Vitellius au règne aussi bref que tourmenté.

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