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LA GUERRE DES ISLAMISMES

Par Mathieu GUIDÈRE


Conférence-débat, organisée en partenariat avec l'Association Minerve.

le 22 février 2017, à l'École Militaire


Professeur des Universités à l'Université de Paris 8 (Cultural Studies) Mathieu Guidère est agrégé d'arabe et titulaire d'un Doctorat de linguistique de l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV). il a été, également, professeur résident à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr (Division des Langues).

Il est l’auteur de nombreux ouvrages notamment : La Guerre des islamismes, Editions Gallimard, Folio, 2017 ; Atlas du terrorisme islamiste, Editions Autrement, 2017 ; Le Retour du Califat, Editions Gallimard, 2016 ; L'Etat islamique en 100 questions, Editions Tallandier, 2016.

Mathieu Guidère intervient fréquemment dans les médias sur la question de l’islamisme.


Les guerres de religions sont un phénomène relativement récurrent dans l’histoire de l’humanité. Toute religion semble passer, dans son développement, par un certain nombre de phases dogmatiques et de crises doctrinales qui se traduisent d’abord par des confrontations théologiques, puis par des affrontements armés au nom de la vérité absolue. Dans ces affrontements, se révèle souvent l’aveuglement de la foi qui peut faire de chaque croyant un soldat de Dieu, c’est-à-dire un assassin au nom de la foi.


Ces guerres sont rendues possibles et fréquentes par la faculté qu’a toute religion de « s’idéologiser », c’est-à-dire de se transformer aisément en un système d’idées fermé, totalisant parce que posant ses réponses comme le seules valides dans la globalité, et totalitaire parce que sa vision des temps prétend régir jusqu’à la moindre activité humaine, à commencer par les plus intimes. Dans ce système, l’imprégnation idéologique des fidèles, au sens où les notions de théologie sont dégradées en simples mots d’ordre et slogans, est telle que le massacre de son « prochain » devient justifié, même si le texte fondamental de la religion dit « tu ne tueras point ».


Les guerres de religion musulmanes


Si les guerres de religions européennes (XVIe siècle) peuvent être convoquées pour décrire un certain état de l’islam contemporain, c’est en raison d’un certain nombre d’éléments communs à la situation actuelle dans le monde musulman : affrontements confessionnels qui deviennent des guerres civiles, voire l’inverse ; solidarité de confession par delà des frontières étatiques qui très souvent traversent des communautés de croyances, ce qui résulte en des interventions étrangères dans le monde musulman ; confusion extrême entre les données géopolitiques régionales et les engagements religieux.

Depuis l’irruption de l’État islamique (Daech) sur la scène moyen-orientale, ces guerres de religions internes à l’islam ne sont plus un simple « habillage » théologique d’intérêts politiques et géostratégiques. Ils sont l’expression d’un paradigme dominant qui a conquis les foules et les esprits.


Aujourd’hui, l’islam vit en état de guerre permanente. Au Moyen-Orient, celle-ci oppose essentiellement des groupes musulmans chiites et des groupes musulmans sunnites. Mais il existe également une lutte interne à l’islam sunnite, majoritaire dans le monde, entre les Sunnites de la tendance frériste (Frères musulmans) et les Sunnites de la tendance salafiste (Wahhabites). Cette lutte interne à l’Islam est soutenue par des pays qui ont pour religion d’État l’une ou l’autre de ces tendances, et chacun cherche à augmenter le nombre de ses fidèles parce qu’il croit être dans le « Vrai », considérant les autres courants islamiques comme étant soit « déviants », soit « hérétiques ».


Méconnaissant cette situation de guerre interne à l’islam, les Occidentaux ont tendance à mettre le doigt dans un engrenage qui a pour résultat direct d’empirer les guerres internes et d’importer les conflits entre musulmans sur leur territoire national. Ainsi par exemple, lorsque sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), l’alliance avec le Qatar a été privilégiée c’est le courant sunnite des Frères musulmans qui est apparu « béni de Dieu » dans la perception commune des musulmans sur les deux rives de la Méditerranée. À l’inverse, lorsque sous la présidence de François Hollande (2012-2017), l’alliance avec l’Arabie Saoudite a été préférée, c’est le courant salafiste de l’islam sunnite qui a pris le dessus dans la perception collective : à chaque changement d’alliance en politique étrangère correspond un changement de perception dans les communautés musulmanes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.


Par un effet d’écho ou de mimétisme, la lutte entre courants islamistes observée au niveau international est importée sur le territoire national sans jamais vraiment garder présent à l’esprit le contexte d’origine. On assiste ainsi, en France même, à une compétition entre le courant frériste et le courant salafiste qui se traduit par des formes d’expression et de manifestation différentes. Cette rivalité entre courants islamistes explique certaines surenchères dans l’expression religieuse ou dans la revendication identitaire, qui se traduit souvent par une radicalisation préjudiciable. Pis, la compétition entre groupes terroristes tels qu’Al-Qaïda et Daech, ne fait qu’aggraver le sentiment d’insécurité et l’état de la menace.

En articulant le temps long des affrontements religieux et le temps plus court des politiques nationales, il est possible de saisir les dynamiques internes qui parcourent le monde arabe et musulman.


Le début des guerres islamiques contemporaines


La Constitution iranienne de 1979 ressuscite les guerres de religion islamiques dans un mouvement révolutionnaire qui ne cessera de prendre de l’ampleur. Il se caractérise par les traits suivants :

Tout d’abord, des pouvoirs absolus conférés à un Guide suprême, dont la conséquence sera sur le long terme que le religieux domine et contrôle le politique suivant la doctrine chiite de la « tutelle du Guide » (Wilayat al-faqih). Cette doctrine concerne également l’attente du retour du douzième imam Muhammad al-Mahdi, dont la conséquence sera la généralisation d’un message à caractère messianique et apocalyptique.


Ensuite, l’inscription officielle de l’école « chiite imamite / duodécimaine » comme Religion d’Etat entraîne inéluctablement une persécution des minorités à l’intérieur de l’Iran, à commencer par la minorité sunnite (environ 10% de la population).

Enfin, la mise en place d’une stratégie d’exportation de la Révolution islamique se traduit par la guerre Iran-Irak (1980-1988) et par la création de groupes armés pan-chiites dont le plus connu est le Hezbollah libanais en 1982.


Ce dernier annonce la naissance de l’islamo-nationalisme car il est issu de la rencontre entre la problématique ethnique (arabe) et de la question confessionnelle (chiite). Le Hezbollah, après avoir écarté le mouvement chiite Amal, met en place une stratégie d’hégémonie inspirée de son mentor iranien qui le place d’abord au centre de la vie politique libanaise puis au cœur de la géopolitique régionale : guerres contre Israël dans les années 2000 puis intervention militaire en Syrie et en Irak dans les années 2010, aux côtés des Gardiens de la révolution iraniens.

Le Hezbollah se fait surtout connaître, à ses débuts, par ses actions terroristes, qui ensanglantent les années 1980 : attentats du Hezbollah au Liban et à l’étranger, notamment la série d’attentats contre la France (attentat du Drakkar en 1983 et attentat de la rue de Rennes en 1986).


Le tournant de la guerre d’Irak


La guerre interne à l’islam connaît un nouvel épisode sanglant à partir de 2003 avec l’invasion de l’Irak par les Américains. Cela conduit à un partage du pays et du pouvoir entre trois groupes ethno-confessionnels : des Chiites (au sud), des Sunnites (au centre) et des Kurdes (au nord).


Cette répartition, outre le fait qu’elle officialise la confusion des catégories ethniques et confessionnelles, fait abstraction du fait que les Kurdes sont majoritairement Sunnites tout comme les habitants du centre de l’Irak. Ce confessionnalisme institutionnalisé conduit à la guerre civile en Irak et donne naissance, dès 2006, à l’organisation de l’Etat islamique (DAECH). Celle-ci accélère le processus de guerre de religion au Moyen-Orient et exporte cette guerre en Occident.


Depuis, outre la rivalité millénaire entre Sunnites et Chiites, la guerre fait rage entre les Sunnites (Arabes vs Kurdes vs Turcs). Cette guerre interne à l’islam est décrite en détail dans son livre : La Guerre des islamismes (Gallimard, Folio, 2017).

Pour illustrer cette compétition interne à l’islamisme contemporain l’auteur cite l’exemple du Maghreb, perçu jusqu’ici comme homogène sur le plan religieux. Pourtant, l’étude de Mathieu Guidère montre la diversité et la rivalité religieuses qui caractérisent aujourd’hui tous les pays d’Afrique du Nord et du Sahel. Enfin, tous les régimes arabes et musulmans sont la cible des attentats et du courant djihadiste et takfiriste dont le conférencier rappelle les ravages au cours de la guerre civile algérienne (1992-2000).


Conclusion


Promouvoir la laïcité comme protection contre les guerres de religion


Pour se prémunir contre l’importation des guerres de religion musulmanes et pour éviter que leurs partisans ne sévissent sur le territoire national, il est urgent que le prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, mène une campagne de sensibilisation à grande échelle visant :


1) à expliquer l’état actuel de guerre interne que vit l’islam sur la rive sud de la Méditerranée et au Moyen-Orient, une guerre qui est étrangère à la situation nationale ;


2) à prévenir la population contre les stratégies d’exportation de ces guerres par des organisations telles que Daech et contre l’importation de ces guerres sur le territoire national ;


3) à promouvoir la laïcité non pas comme un outil coercitif imposé à la communauté musulmane mais comme la seule protection véritable contre l’extension des guerres de religion musulmanes sur notre territoire.


Cela devrait passer par des campagnes de sensibilisation et de conscientisation incluant des rencontres et des conférences dans les établissements scolaires et universitaires, des spots télévisés didactiques exposant les faits sans idéologisation ni politisation, ainsi que des manifestations culturelles montrant les mérites de la laïcité comme bouclier protecteur contre les dérives sectaires et contre l’hégémonie d’un groupe religieux sur les autres. En somme, il s’agit de gagner les cœurs et les esprits au modèle laïque français qui a déjà fait ses preuves dans la garantie donnée à chacun de vivre sa foi dans le respect de l’Autre et de la République.



 
 

Quelques suggestions de lecture pour aller plus loin :


Guidère M., La Guerre des islamismes, Gallimard, 2017.

Guidère M., Atlas du terrorisme islamiste, Autrement, 2017.

Guidère M., Le Retour du Califat, Gallimard, 2016.

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