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LES DEUX GÉANTS AMÉRICAINS EN CRISE

Une conférence organisée par le Forum du Futur, le Centre Thucydide et Synopia.

Cette conférence s'est déroulée le 11 décembre 2017, à la Sorbonne, Paris.

Compte rendu

Avec :


Yves BOYER

Professeur émérite de l’Ecole polytechnique, directeur scientifique du Forum du Futur.


Alfredo VALLADAO

 Professeur à l'Ecole des Affaires Internationales de Sciences Po (PSIA). Senior Fellow OCP Policy Center (Rabat), Président du Conseil de l'association EUBrasil (Bruxelles), Directeur de la Chaire Amérique Latine du Centre d'Etudes Sociales Economiques et Managériales (CESEM - Rabat). Chroniqueur Radio France Internationale (rédaction Brésil). Directeur de la Chaire Mercosur de Sciences Po (1999-2010), Membre du Conseil de l'UNITAR (2009-2015), Correspondant diplomatique du quotidien  Libération (1981-1993).


Pierre SALAMA

Professeur émérite de l'Université PARIS XIII (Villetaneuse) ; docteur honoris causa de l'université de Guadalajara (UDG) et des Universités Autonomes Métropolitaines du Mexique. Membre du comité de rédaction de plusieurs revues étrangères, directeur scientifique de la Revue Tiers Monde et du Groupe de Recherche sur l'État, l'Internationalisation des Techniques et le Développement (GREITD).


Serge SUR

Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas, Président du Conseil d’orientation du Centre Thucydide, directeur de l’Annuaire français de relations internationales (AFRI) et rédacteur en chef de la revue « Questions internationales » (La Documentation Française).


 

EXTRAITS


Etats-Unis : le fonctionnement de la démocratie américaine en question


Yves BOYER

Il faut replacer « les tribulations de Trump » dans la dynamique politique des Etats-Unis d’Amérique. Depuis leur création, les tenants d’une République vertueuse affrontent ceux d’une République marchande.

Le président Trump, mal accepté par nombre de dirigeants républicains, a su lier son sort à celui du parti. Il représente une frange importante des électeurs républicains aminés par un ressenti racial et culturel – en 2040 moins de 50% de la population sera blanche d’origine européenne -, et le refus des codes de minorités, notamment sexuelles. En politique extérieure, ils soutiennent ce président qui, rompant avec le consensus bipartisan, a pour ligne « America first ». Autant de tendances de fond ancrée dans une partie de l’électorat américain.

En outre, le système fédéral américain fait que l’argent est l’un des moteurs de la vie politique. Les donateurs, qui investissent des sommes considérables dans les campagnes électorales, attendent un retour de leur candidat.


Le Brésil en crise.


Alfredo VALLADAO

Le Brésil, regardé, il y a 15 ans, comme puissance émergente, se délite économiquement, politiquement, institutionnellement et moralement. Le PIB et les investissements s’effondrent, le déficit public explose, comme le chômage et la criminalité. La corruption gangrène le pays et déconsidère la classe politique comme les entrepreneurs. Ce sont là autant d’indicateurs de l’effondrement du modèle brésilien, clientéliste et « rentiste », qui depuis cinq siècles est fondé sur l’illusion d’un espace infini et riche.

Après avoir surexploité ses ressources naturelles – cycles sucre, or, café, caoutchouc, viande, soja…-, le Brésil adopte, aux lendemains de la seconde guerre mondiale, un programme d’industrialisation fermée et subventionnée. Au début des années 80, ce programme, qui favorise l’exode rural – aujourd’hui, 85% des 210 millions d’habitants vivent en zone urbaine -, se fracasse sur l’énormité de la dette et des inégalités sociales. Au début des années 90, les militaires, ne parvenant pas enrayer une inflation galopante, rendent le pouvoir aux civils. Le gouvernement, qui bénéficie alors de la hausse du cours du soja et du fer, adopte une politique qui, conciliant capitalisme émergent et justice sociale, favorise le développement d’une classe moyenne. Dans les années 2000, l’effondrement des cours des matières premières met à mal une économie reposant, pour beaucoup, sur les aides sociales et le surendettement des ménages.

Juguler la crise, dans un pays qui n’a pas, à temps, procédé aux nécessaires investissements structurels, notamment dans les transports, s’avère difficile. Cela d’autant que la loi électorale favorise l’éclatement politique. Aussi, les politiques ont-ils tendance à recourir à la corruption pour dégager des majorités.

Dans cette débâcle, la sortie de crise pourrait bénéficier de quelques éléments, dont : la rigueur des procureurs luttant contre la corruption, la neutralité de la police fédérale, la cohérence de l’armée, peu tentée de revenir au pouvoir, et le football. Et à deux conditions : la réussite de la lutte contre la corruption ; l’engagement d’un jeunesse éduquée et hyper branchée.

En conclusion, citons le Président Cardozo : « Le Brésil n’est pas un pays pauvre, le Brésil est un pays injuste ».


Les pays latino-américains dans l'économie globale

Pierre SALAMA

Le monde n’évoluant pas de façon linéaire, la « désindustrialisation du diable » qui frappe nombre de pays latino-américains, où les taux de productivité et d’investissement par habitant baissent, n’est pas une fatalité mais un aboutissement. Celui d’un politique économique fondée sur l’exportation de matières premières, minières, agricole et humaines – la première source de revenu du Mexique est l’émigration.

Les cours élevés des matières premières ont permis de financer tant, les politiques sociales, que les déficits industriels et ceux des balances commerciales. Il est plus facile d’importer que de produire.

Faute de scabilité – flexibilité qui permet d’adapter l’offre à la demande -, l’Amérique latine, contrairement à l’Asie, n’a pas profité du développement des échanges facilités par l’internet avec sa capacité à penser mondial, et la baisse des coûts de transport. Aussi, nonobstant l’augmentation de la production de produits de moyenne et haute technologie, le déficit commercial de la plupart des pays latino-américains, pour ce type de produits, s’accroit.

Pour autant, il n’y pas d’irréversibilité. Les pays latino-américains, indépendants, depuis plusieurs siècles, maitres de leurs politiques et de leurs choix économiques, ne sont pas des pays pauvres. Il leur faut accepter qu’aucune relance économique n’est possible sans le retour de la confiance accordée au politique.

La sortie de crise implique tant de repenser le rôle de l’Etat que d’accepter d’apprendre de l’expérience des autres, à commencer par celle des pays d’Asie.


Débat et questions des auditeurs


• L’inflation : impôt des pauvres ?

La réponse souligne qu’un peu d’inflation favorise la croissance, mais que trop d’inflation est menace l’économie


• Le rôle des médias et de la justice dans les campagnes électorales américaines

Il ressort du tour de table que ceux-ci ne sont pas neutre

Le rejet de Trump est-il une illusion ?

Les élections de mi-mandat, en 2018, devraient apporter la réponse


• La fin de l’hégémonie américaine est-elle un fantasme ?

Les multinationales américaines et les commandes du Pentagone financent l’avancée technologique !


En conclusion du débat et des trois interventions, le Professeur Serge Sur s’interroge sur les liens entre les Etats-Unis et les pays latino-américains, auxquels Trump tourne délibérément le dos. Ce faisant, il prend le parti des conservateurs américains qui, sans relâcher leur vigilance anti-communiste, résument leur perception de leurs voisins du sud par la formule d’Einstein « E=mc2 » - Energie, Migration, Cocaïne au carré.

Cette perception négative des pays d’Amérique latine n’est pas sans conséquences préjudiciable pour les Etats-Unis. Depuis le retrait américain, voulu par Trump, de l’Alliance pour le Pacifique, la Chine (déjà très présente en Amérique latine, où elle investit dans les matières premières, les infrastructures de transport et les industries de transformation) s’est imposée comme leader de cet accord de libre-échange.


Les sept plaies des démocraties


Serge SUR

Souhaitant élargir le débat au-delà des cas particuliers des deux Amériques, le professeur Sur met en exergue sept plaies de la démocratie. Ce système politique, dominant en occident, diffère de la méritocratie autoritaire à la chinoise et de la théocratie fondée sur une loi divine ayant force de commandement. Il en va différemment dans les démocraties où la loi fixe des obligations consenties.

1 - La distorsion de la représentation, qui menace la légitimité des élus.

Aux Etats Unis, Etat fédéral, les différentes lois électorales font que Trump est élu avec moins de voix que son adversaire.

2 - L’absence de démocratie au sein de partis politiques organisés non de la base vers le haut, mais du sommet vers la base.

Des réglementations Adhoc pourraient y remédier.

3 - Le non-respect des promesses électorales, source de désamour des électeurs qui sanctionne l’élu au scrutin suivant.

4 – L’inefficacité du gouvernement, tendance renforcée dans les pays de l’U E par la multiplication de normes extérieures imposées.

La mondialisation bénéficie de l’absence de leviers nationaux propres à imposer des stratégies aux entreprises.

5 – La corruption, pratique courante dans les démocraties, qui se révèle plus forte dans les jeunes démocraties.

Un pouvoir judiciaire indépendant pourrait, notamment, limiter l’effet pervers d’accusations médiatisées favorisant les dérives populistes.

6 – Le multiculturalisme, qui menace le consensus populaire et ce faisant tend à la désagrégation de la Nation.

7 – Le totalitarisme du marché, qui facilite la multiplication de politiques d’offre et installe des marchés électoraux.

La marchandisation de la politique va de pair avec la généralisation des lobbys.

Un bon fonctionnement de la démocratie nécessiterait la séparation du pouvoir économique, qui manipule les médias, du pouvoir politique.

En conclusion le professeur Sur rappel trois axiomes du populisme, qui menace la démocratie : prétendre parler au nom du peuple ; dénoncer les élites ; cultiver les passions tristes, que sont la xénophobie et la haine.


Auteurs : Pierre SALAMA, Serge SUR, Alfredo VALLADAO, Yves BOYER

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