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QUATRE MOIS APRÈS : CONSÉQUENCES DU BREXIT POUR LE ROYAUME-UNI ET POUR L'EUROPE ?

Conférence-débat, organisée en partenariat avec l'Association Minerve

Avec :

Yves BOYER, Professeur émérite de l’Ecole Polytechnique

Jean-Claude CHOURAQUI, ancien conseiller économique à l’OCDE, Professeur des Universités

Elvire FABRY, Docteur en science politique, chercheur à l’Institut J. DELORS

Serge SUR, Professeur émérite de l'Université Paris II, Panthéon, Assas


Lors du référendum du 23 juin 2016, les Britanniques partisans du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit) l’ont emporté avec 51.9 % des suffrages exprimés, avec un taux de participation de 72,2 % de la population. 

Quelles conséquences pour le Royaume-Uni et pour l’Europe ?


EXTRAITS :


Yves BOYER


" Le référendum a révélé un pays aux multiples fractures. 

- Londres, l’Ecosse et l’Irlande du Nord ont voté pour le maintien, alors que les autres régions du royaume ont choisi le « leave » (Angleterre 53,4%), pays de Galles (52,5 %).

- Les jeunes, en tout cas la classe d’âge 18-24 ans a voté à 75% pour le « remain».

- Un clivage entre les Britanniques ouverts sur le grand large bénéficiant de la mondialisation et du libre-échange et une autre frange de la population qui s’estime laissée pour compte.

- Une forme de divorce entre les partis politiques, leurs ténors et une majorité du pays.


Le vote négatif est d’autant plus troublant qu’il a semblé prendre par surprise commentateurs, journalistes, financiers et une grande partie du monde politique. Les sondages précédant le vote montraient un avantage au non qui a été complètement ignoré par la classe dirigeante.


Cette arrogance de la part de « l’establishment » à l’égard du « peuple » jugé moins éduqué et sophistiqué devient délétère et le phénomène s’observe ailleurs en Occident comme le montre l’essor des mouvements politiques alternatifs ou populistes - aux Etats-Unis avec Donald Trump, en France avec la percée du Front National aux élections régionales de 2015, en Pologne avec le parti Droit et Justice de Katcinsky et en Italie avec le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo.


Le non britannique s’apparente à un séisme historique, enclenchant des dynamiques politiques, économiques et financières dont il est difficile de mesurer les conséquences. 

L’UE en ressort affaiblie (de 7,7% de la population mondiale elle passe à 6,4% et son PNB de 24% à 21%), et un coup très sérieux est porté à la construction européenne. Le Brexit affaiblit un certain nombre de petits états européens qui trouvaient dans la Grande-Bretagne un porte-parole avec laquelle ils partageaient une vision de la construction européenne libérale et libre-échangiste. La Suède a toujours été en phase avec les positions britanniques et le Brexit va compliquer son positionnement au sein de l’UE. Il en est de même du Danemark. Plus au sud, il convient de relever la déclaration du ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel García Margallo, qui, tout en regrettant la décision britannique, affirmait qu’elle ouvrait une phase nouvelle pour Gibraltar : « la souveraineté partagée à Gibraltar n’a jamais été aussi proche ». Gibraltar où 96% de la population a voté pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE.


Les conséquences politiques internes du vote se font déjà sentir. Le parti conservateur est en plein désarroi. Le Cabinet Office s’était fracturé sur la question du Brexit, 24 de ses membres ayant suivi Cameron et 6 autres faisant campagne pour le Brexit. La bataille engagée pour la succession de Cameron s’est terminée par le choix de Theresa May, Home Secretary, une figure respectée du Cabinet. Côté Labour, son leader, Jeremy Corbyn, a fait face à ce qui ressemblait fort à une révolte interne.


La mise en œuvre du Brexit va s’opérer dans les deux ans qui suivront le recours à l’article 50 du traité de Lisbonne qui prévoit les modalités de départ d’un des membres.

Si certaines voix prônent l’apaisement, le président de la Commission Jean-Claude Juncker a déclaré qu’il s’agissait de régler ce qui n’était pas « un divorce à l’amiable » et qu’il fallait être intransigeant avec Londres qui, pour garder son accès au marché unique, devait accepter les 4 « libertés » : de circulation des hommes, des biens, des services et des capitaux.

Chaque État garde un droit de veto sur l’accord final avec le Royaume-Uni. Les négociations seront pilotées par le Conseil européen, la Commission étant l’agent exécutif ayant désigné Michel Barnier commissaire en charge du Brexit.

Theresa May a nomé David Davis, un europhobe dur, comme ministre du Brexit. Lors de la conférence annuelle du parti conservateur, Mme May s’est exprimée pour un « hard Brexit », précisant utiliser la procédure de l’art. 50 d’ici mars 2017, pour que tout soit terminé en mars 2019. Les raisons de fonds, le 1er Ministre les a évoquées en ces termes : « nous allons devenir un pays pleinement souverain et indépendant. Nous n’allons pas choisir un modèle de relation avec l’UE qui soit un modèle norvégien ou Suisse. L'accord sera celui conclu entre un pays indépendant et souverain et l’UE ». Mme May rappelant ainsi qu’elle considérait que le vote n’avait pas été contre l’immigration mais un vote souverainiste.


Quels seront les rôles respectifs de l’exécutif et du parlement dans la négociation du Brexit ? 

En septembre dernier, Davis avait déclaré que le gouvernement aviserait le parlement des positions adoptées sans que ce dernier ait a voté. Cette attitude a suscité un tollé de la part des députés de tous bords. Le shadow Foreign Affairs minister a transmis au gouvernement une série de 170 questions à laquelle, appelant le gouvernement à répondre avant le déclenchement de la procédure de l’article 50. Sur l’association du Parlement à la stratégie de négociation, le 1er ministre commence à reculer.

Derrière la question des rôles respectifs du gouvernement et du parlement, se joue la question du soft ou du hard Brexit. Le soft a la préférence d’une majorité des parlementaires conservateurs qui pourraient trouver des alliés avec les parlementaires du SNP de Mme Sturgeon ; le hard Brexit a la préférence du cabinet.

Faute d’une constitution écrite, ce débat a eu comme conséquence imprévue la saisine de la Royal Court of Justice pour déterminer qui a autorité pour notifier que le Royaume-Uni se retire de l’UE. Plusieurs solutions s’offrent aux juges dont l’une serait pour le moins baroque, consistant à demander l’avis de la CE de justice. Dans tous les cas un recours de la décision des juges reste possible devant la Cour Suprême du Royaume-Uni.


Reste intéressant de noter que le Brexit était en quelque sorte anticipé par la SDSR 2015 (Strategic Defence and Security Review – A Secure and Prosperous United Kingdom) publiée en novembre 2015. Ce document programmatique qui définit et fixe la place et le rôle du Royaume Uni dans la société internationale faisait apparaître le

débat sur la sortie éventuelle du Royaume Uni de l’UE, les rédacteurs prenant soin de réaffirmer que l’Angleterre est une puissance à l’influence mondiale ayant de multiples affiliations (Commonwealth, Five Eyes Agreement, liens privilégiés avec les Etats-Unis, rapports étroits avec le Japon, etc.) et possédant des moyens et canaux pour maintenir et accroître cette influence (poids de la City, rôle de la BBC ou du British Council).

La SDSR 2015 prenait une tonalité nationale marquée, ne dérogeant pas à une tendance de fond qui semble se dessiner en Europe, et qui s’apparente à un « retour » vers la nation. Dans le cas britannique, cela ne saurait signifier un repli sur soi mais plutôt une forme de redécouverte du « grand large »."



Serge SUR 


Quatre questions politiques peuvent être soulevées au sujet du Brexit. Elles n’appellent pas encore de réponses certaines, mais ouvrent des options : Pourquoi ? Comment ? Quel sens pour le Royaume-Uni ? Quelles conséquences pour l’Union européenne ? 

Pourquoi ? 


La victoire du non a surpris : Le miroir déformant des médias et des sondages ne laissait pas imaginer cette issue, et ce jusque dans la nuit même du référendum. Les erreurs des sondeurs au Royaume-Uni ne sont pas nouvelles. Quant aux médias, ils se sont auto-intoxiqués dans des conditions qui rappellent en France l’échec du référendum européen en 2005.

Le pari de Davis Cameron a été perdu, alors même qu’il avait obtenu ce qu’il souhaitait à Bruxelles. Il a lui-même contribué à l’échec en critiquant vigoureusement l’UE, il a joué aux dés avec Boris Johnson un jeu cruel et détruit quarante ans de politique britannique. La discrétion des Travaillistes durant la campagne a également desservi les partisans du maintien dans l’UE. Le Brexit sonne en outre comme la traduction dans les urnes du poids d’un électorat profond britannique qui s’octroie une sorte de revanche contre le Thatchérisme. 


Comment ? 

Si les Britanniques ont la main dans le déclenchement de la procédure de sortie, ils devront subir des délais contraints pour la négociation ultérieure.

- Pour procéder au Brexit, l’article 50 du Traité de Lisbonne devra être mis en oeuvre. Les Britanniques ont le choix du moment de son invocation. Nouvelle Premier Ministre après la démission de David Cameron, Theresa May l’a prévu pour mars 2017, c’est à dire neuf mois après le référendum. Sa stratégie est donc de prendre du temps, afin de rester dans une position de force. Les Européens ont cependant signifié qu’aucune négociation ne serait engagée avant l’activation de l’article 50. Pourquoi ce choix du mois de mars 2017? Pour que le processus soit terminé avant les prochaines élections au Parlement européen.


La composition du nouveau gouvernement britannique écarte les opposants les plus actifs à l’UE. Boris Johnson, quoique ministre des affaires étrangères, ne sera pas le négociateur, et Nigel Farage de l’UKIP a quitté la tête de son parti. Ce gouvernement est dessiné de manière à ne pas provoquer l’Union par une attitude initiale d’hostilité. Mais les divergences internes en son sein ne facilitent pas l’adoption d’une position commune du pays face à l’UE, ce qui contribue aussi à expliquer la lenteur de la démarche.


- À partir de l’activation de l’article 50, la période de négociation sera très brève. S’ouvrira un cycle de deux ans de négociations, conformément au Traité de Lisbonne. Il sera même plus bref, puisque des élections nationales auront lieu en 2017 en France et en Allemagne, ce qui ralentira le processus. Les Britanniques, ainsi enserrés par le temps, conserveront toutefois l’avantage d’être toujours dans l’Union, et de rester informés des débats internes de l’Union européenne. Ils n’entendent pas abdiquer leur présence, et ont déjà montré depuis le référendum leur capacité de blocage. Mais ils n’auront plus la main. Et pour prolonger la période, il faudra un accord unanime.


Quel sens pour le Royaume-Uni ? 

La question ici se dédouble : D’abord, quelle signification, entre petite île et grand large ? Ensuite, Hard Brexit ou Soft Brexit ?

Petite île ou grand large 


- On peut y voir un échec de la politique britannique, dans la mesure où le Royaume-Uni quitte une instance qu’il avait largement contribué à façonner. On assisterait à une sorte de suicide politique : les Britanniques quittent eux-mêmes l’UE, avec le risque d’un éclatement interne, puisque l’Ecosse et l’Irlande du Nord, favorables au maintien dans l’UE, pourraient s’interroger sur leur appartenance au Royaume-Uni. Le Brexit réalise ce dont Napoléon ou Hitler n’auraient pas rêvé, sortir le Royaume-Uni d’Europe. Au fond, les Anglais n’ont jamais aimé la construction européenne. Elle était à leurs yeux une entreprise de vaincus après la Seconde guerre mondiale. Tous les pays d’Europe occidentale étaient des perdants, ils cherchaient rédemption et métamorphose dans l’union, alors qu’eux-mêmes étaient du côté des gagnants.


- On peut alors analyser aussi le Brexit comme une ruse de la raison historique. Il permettrait au Royaume-Uni de retrouver l’exercice intégral de sa souveraineté et de reprendre un rôle mondial. Pour cela, trois voies s’ouvriraient. Un certain nombre de dirigeants, voire de secteurs de l’opinion britannique conservent une nostalgie impériale, de la période où Londres était la capitale d’un immense empire. Ou encore le Royaume-Uni est le centre de l’anglosphère, les anciennes possessions sur lesquelles règne toujours la Couronne. Il faut bien dire que c’est là une illusion, que ceux qui la partagent n’ont pas compris que leur pays, ruiné, avait perdu la guerre tout autant que les pays continentaux. La Première guerre mondiale lui a coûté l’Irlande, la Seconde son Empire.

Mais, au-delà de ces nostalgies, reste la présence britannique dans l’OTAN, qui exerce un protectorat de fait sur l’UE en termes de sécurité. L’OTAN n’est pas seulement une organisation militaire, elle remplit un rôle économique croissant, notamment à travers les normes industrielles et technologiques adoptées par ses membres et qui sont liées à l’interopérabilité des forces armées. Or beaucoup de ces équipements sont de nature duale, aussi bien civile que militaire. En surplomb de l’UE se profile de plus en plus une Otanie que le Royaume-Uni ne quittera pas et au sein de laquelle il pourra développer un leadership aux côtés des Etats-Unis. Ceux-ci toutefois semblent plus intéressés par un partenariat avec l’Allemagne qu’avec la Grande-Bretagne. Le président Obama a ainsi pris publiquement position pour le maintien du pays dans l’UE.


Hard ou Soft Brexit 


Il est clair que les Britanniques chercheront à maximiser leurs avantages et tireront parti des divergences qui ne manqueront pas d’apparaître entre les 27 Etats restant dans l’UE. De ce point de vue, la nomination comme négociateur de l’UE de Michel Barnier a inquiété les médias britanniques – un Français ! – mais guère la City. Elle ne l’a pas en effet trouvé très sévère lorsque, commissaire européen, il avait négocié la fixation de nouvelles règles bancaires.


Cependant, on voit mal comment on ne se dirigerait pas vers un Hard Brexit. Si les conditions faites au Royaume-Uni étaient trop douces, d’autres Etats dont l’engagement européen est plus alimentaire que de conviction risqueraient de tenter la même aventure, entraînant un risque de dislocation de l’Union. On pense à ceux qui pourraient avoir adopté l’Euro et ne l’ont pas fait, ou à certains de ceux, en Europe centrale, qui ne peuvent pas le faire. Et l’intérêt de l’Union dans son ensemble n’est certainement pas de permettre un Brexit à somme positive pour la Grande Bretagne et négative pour elle-même.


Quelles conséquences pour l’Union européenne ? 

Il peut en sortir un processus de décomposition, par le bas ou par le haut, aussi bien qu’un électrochoc permettant une relance de la construction européenne.


- La décomposition par fragmentation est une perspective qu’on ne saurait ignorer, surtout face au désenchantement croissant des opinions publiques européennes devant des processus bureaucratiques, opaques, faiblement démocratiques, et devant l’impuissance de l’UE face à la crise migratoire comme aux difficultés chroniques de la monnaie unique. Il n’est pas besoin d’une nouvelle crise, il suffirait que la situation se prolonge et conduise à un délitement progressif, avec reprise par les Etats de la maîtrise de leurs frontières et l’abandon rampant des disciplines européennes.

Mais la décomposition peut avoir aussi lieu par le haut et non par la fragmentation. Le CETA, le TAFTA à venir, ajoutés à l’OTAN, intègrent l’UE dans des ensembles plus vastes qui la dépassent et qu’elle ne peut pas maîtriser. Libre échange et normes américaines réduiraient l’UE à un simple relais d’une hégémonie de firmes transnationales appuyées par les Etats-Unis. Telle a toujours été la vision britannique de l’Europe. L’UE semble d’ores et déjà réduite à une machine à négocier sa propre destruction, Brexit d’un côté, TAFTA de l’autre.


- Quant à la relance, encore faudrait-il déterminer ses bases et ses thèmes. La défense européenne pourrait être l’un d’entre eux, mais face aux divergences en matière de politique étrangère, notamment face à la Russie, face à la pression de l’OTAN, la voie semble étroite. Pour les bases, le couple franco-allemand semble en passe d’être complété par un trio avec l’Italie, comme si l’Allemagne souhaitait sortir d’un face à face qui la rappellerait aux origines de la solidarité européenne, lorsque l’on a tendu la main à un pays qui était au fond du trou. La France ne semble en outre avoir ni la volonté ni les moyens de mettre l’Allemagne devant ses responsabilités européennes.


- En définitive, beaucoup dépendra de l’évolution intérieure de l’Allemagne. Depuis sa réunification, elle est de moins en moins européenne, et joue de plus en plus la carte de la mondialisation. On peut au demeurant comprendre que l’Allemagne ne soit pas attachée à l’ordre international issu de la Seconde guerre mondiale, dont l’UE est une composante. La Russie, la Chine sont pour elle des portes de sortie de l’UE, et elle prend ses distances par rapport à l’OTAN. Mme Merkel, dans cet esprit, est beaucoup moins européenne que ses prédécesseurs.

Elle ne souhaite pas non plus rompre avec le Royaume-Uni. Les élections de 2017 en Allemagne, avec peut-être une nouvelle majorité seront une clef du Brexit, sans oublier les élections présidentielles en France, même si le Brexit ne semble pas actuellement un thème de campagne. De ce point de vue, la négociation du TAFTA est stratégique et pourrait être déterminante pour l’avenir de l’Union. L’Histoire n’est pas finie, elle n’est pas écrite. Reste un grand espace pour la politique et les visions des hommes et femmes d’Etat qui décideront du déroulement du Brexit.



Elvire FABRY


Le Brexit est un défi colossal : s’il est encore difficile d’identifier un scénario « win-win », il s’agit en tout cas d’éviter à tout prix le cas d’un scénario « lose-lose ».

Une série de remarques sur les enjeux de ce référendum :


- La motivation des électeurs pro Brexit a été de reprendre le contrôle sur la règlementation européenne. Mais il s’agit de manière plus diffuse d’une réaction contre le processus de mondialisation. Ces électeurs viennent majoritairement des campagnes, sont plutôt âgés, se sentent menacés par les mouvements migratoires et aspirent à revenir à restaurer la souveraineté du RU d’avant l’UE et avant la mondialisation.


- Concernant le processus du Brexit et de l’après-Brexit, son séquençage demandera au Royaume-Uni beaucoup de patience pour sortir de l’UE et redéfinir ses relations avec ses partenaires : 


1/ L’activation de l’article 50 et le divorce, au cours duquel il va s’agir de retirer l’œuf de l’omelette, et qui sera déjà une première étape complexe au cours de laquelle il faudra régler la question de la contribution britannique au budget européen, l’avenir des fonctionnaires britanniques dans les institutions communautaires, le fonctionnement des agences communautaires, etc… Les sujets à traiter seront nombreux et d’autant plus délicats à mener qu’il n’y a pas eu de précédent.


3/ La renégociation de l’appartenance du Royaume-Uni à l’OMC. Cette négociation promet d’être un vrai casse-tête, le Royaume-Uni bénéficiant à ce jour de toutes les négociations des tarifs et contingents tarifaires européens. Cela va être un vrai défi de détricoter tout cela et de sortir le Royaume-Uni de l’enveloppe européenne et de lui définir d’autres conditions. Le plus vraisemblable reste que le RU adopte les tarifs UE mais les contingents tarifaires seront plus complexes à déterminer.


4/ Un nouvel accord d’association avec l’UE pourra alors être négocié, et le Royaume-Uni pourra également commencer à mener des négociations bilatérales avec des pays tiers (ces négociations ne pouvant se faire qu’une fois la renégociation avec l’OMC faite).

À voir la complexité des négociations qui attendent le Royaume-Uni et le nécessaire temps qui leur sera nécessaire, on imagine volontiers que les déclarations très ambitieuses de Londres doivent être quelque peu atténuées, ou du moins remises en perspectives.


- L’UE joue sa survie dans le processus qui sera mené. Sa volonté de ne pas gonfler les voiles des mouvements populistes d’autres pays, qui pourraient à leur tour, plaider pour leur sortie doit trouver un écho dans sa gestion du Brexit. La fermeté de l’UE sera un véritable gage de survie pour elle-même. À ce titre, ne pas lâcher sur la question de l’indissociabilité de la libre circulation des biens, capitaux, services et personnes sera nécessaire, face à Theresa May qui entend bénéficier de la libre circulation des capitaux et services, en refusant celle des personnes ».



Jean-Claude CHOURAQUI


" C’est la première fois qu’un pays membre de l’Union Européenne (UE) a exprimé, par référendum, son intention de quitter celle-ci, créant ainsi un véritable séisme politique. Quoique difficiles à mesurer à ce stade, les conséquences économiques d’un tel retrait s’annoncent dommageables à moyen terme.


S’agissant du Royaume-Uni, tout dépendra des conditions dans lesquelles se négociera sa sortie. Beaucoup s’attendent à une négociation difficile («hard Brexit »), ne serait-ce parce que l’UE ne voudra pas en faire un exemple susceptible d’être suivi par d’autres pays où se propagent des opinions souverainistes. A contrario, on peut faire valoir que la sortie du Royaume-Uni sera d’autant plus facile à mettre en place que ce pays dispose déjà d’un statut spécial au sein de l’UE, puisqu’il n’a pas adopté l’Euro, ne fait pas partie de l’Espace Schengen et, de surcroît, a obtenu de contribuer moins que prévu au budget européen.


Reste que les liens à redéfinir avec l’UE, une fois la sortie opérée, soulèvent nombre d’incertitudes sur le plan économique et financier. Cinq possibilités peuvent être envisagées à cet égard: 


Rejoindre l’ « Espace Economique Européen » qui associe, aux membres de l’UE, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Cela permettrait l’accès au marché unique, mais en contrepartie impliquerait d’en accepter les règles et de contribuer au budget européen, tout en respectant la libre circulation des citoyens. Il est douteux que le Royaume-Uni soit intéressé par ce modèle, au regard des préoccupations exprimées lors du référendum britannique quant au contrôle des flux migratoires.


Négocier, comme la Suisse en tant que membre de l’« Association Européenne de Libre Echange », une série de traités bilatéraux avec l’UE, garantissant l’accès à certains secteurs du marché européen, à l’exception toutefois des services financiers. Option certes flexible mais fastidieuse, nécessitant, de surcroît, le respect (sans droit de regard) des normes européennes et une contribution à divers programmes de l’UE. Qui plus est, dans cette option, la circulation des personnes n’est pas limitée, quoiqu’elle puisse faire l’objet de clauses de sauvegarde.


Instaurer une union douanière avec l’UE, comme cela a été le cas pour la Turquie. L’avantage serait que les produits britanniques pourraient être exportés sur le marché européen sans supporter de droits de douane. L’inconvénient serait que les services financiers, enjeu important pour le Royaume Uni, en seraient exclus. En outre, les biens importés du reste du monde devraient supporter le tarif extérieur commun de l’UE.


Conclure un accord de libre- échange, du type de ce qui vient de se concrétiser entre l’UE et le Canada. Un tel accord assurerait un libre accès au marché unique pour une large gamme de produits et services, mais ne garantirait pas que les banques londoniennes bénéficient d’un droit de passeport pour opérer sur les marchés financiers européens. Autre inconvénient : ce genre d’accord est généralement l’aboutissement d’une longue négociation (sept ans dans le cas du Canada).A défaut d’un accord avec l’UE quel qu’il soit, l’ultime option pour le Royaume Uni consisterait à intégrer individuellement l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Dans cas, les exportations britanniques sur le marché européen seraient soumises aux mêmes droits de douane et restrictions commerciales appliquées par l’UE aux autres membres de l’OMC (en vertu de la « clause de la nation la plus favorisée »). En revanche, plus question, dans ce cas de figure, de devoir contribuer au budget européen et d’adopter systématiquement les règlementations édictées par l’UE.


Le nouveau Premier Ministre britannique -Theresa May- a exclu récemment les modèles norvégien et suisse comme cadre de négociation, laissant entendre qu’elle rechercherait plutôt une solution ad hoc compatible avec les résultats du référendum. D’où le sentiment que l’on s’oriente vers un « hard Brexit », accréditant ainsi les perspectives économiques pessimistes annoncées par d’éminentes institutions (Trésor britannique, FMI, OCDE entre autres) qui tablent sur des pertes de croissance à moyen terme de l’ordre de 1 à 3%. Toutefois, compte tenu de ces conséquences négatives sur l’activité, de la dépréciation de la monnaie britannique sur le marché des changes et des risques de délocalisation d’institutions financières sur le continent européen, un positionnement plus souple n’est pas à exclure (« Theresa May or may not » comme disent certains).


Pour ce qui est de l’Europe, mis à part les quelques pays (Irlande, Pays Bas et Chypre) ayant des liens étroits avec le Royaume Uni, les répercussions économiques et financières seront globalement moindres. Par contre, un risque de fragmentation de l’unification européenne, provoqué par la sortie du Royaume Uni, ne peut être sous- estimé face aux tentations souverainistes de quelques pays. Se prémunir contre un tel risque nécessite de renforcer l’unification économique et politique de la zone Euro, comme l’exige le bon fonctionnement d’une union monétaire. Cela implique de concilier discipline et solidarité au sein de la zone et, ce faisant, selon l’expression de Pascal Lamy, de « démontrer que l’on peut faire mieux ensemble que séparément ».

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