JEUX DE POUVOIR ET D'INFLUENCE.
Conférence-débat, organisée en partenariat avec l'Association Minerve.
Le 19 septembre 2016.
[avec-moderateur]
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EXTRAITS:
Stéphane LACROIX
" Je voudrais revenir sur trois fondamentaux de l’Arabie Saoudite, qui ne résument pas le pays, mais permettent d’en avoir une bonne idée.
Le premier est que l’Arabie saoudite s’est fondée sur une branche de l’Islam sunnite : le salafisme, ou wahhabisme.
Cette branche est connue pour développer un message conservateur sur les questions sociétales, prôner un certain rigorisme, et prétendre à l’orthodoxie sur le sunnisme.
Mais ce caractère religieux n’est qu’une partie de l’histoire, car l’Arabie saoudite n’est pas le fruit d’une fusion entre le politique et le religieux, mais d’un partenariat. Depuis 1744, l’un et l’autre sont toujours restés distincts, et deux élites différentes ont su coexister : les Princes, et les Oulémas.
Dans ce partenariat, le politique s’engage à faire appliquer le message religieux, notamment par le biais de la Commission de la promotion de la Vertu et de la prévention du vice. Il s’engage également à donner aux religieux les moyens de leur expansion et de leur prosélytisme.
En retour, les religieux soutiennent les princes et ne s’immiscent pas dans la vie politique.
Ce fonctionnement permet une relative autonomie des uns et des autres, chacun suivant sa propre logique. L’Arabie saoudite a de ce fait deux centres de pouvoir, s’apparentant en quelque sorte à un Etat bicéphale.
La seconde grande caractéristique de l’Arabie saoudite est sa gouvernance atypique, liée à la complexité de la famille royale.
En 1953, le roi Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud meurt, laissant derrière lui une descendance pléthorique (plus de 50 fils !), et transmettant un exercice du pouvoir collégial, réparti entre les différents fils.
Le roi ne peut gouverner qu’à travers le « Conseil de famille », et chacun de ses frères influents contrôle un « morceau d’Etat », un ministère. L’Arabie saoudite devient donc un Etat fragmenté, au fonctionnement collégial, ce qui se traduit par une relative inertie lorsqu’il s’agit de prendre des décisions, et un Etat structurellement condamné à être conservateur.
Enfin troisième caractéristiques fondamentale : l’Arabie saoudite est un Etat rentier, dépendant de la ressource pétrole (les revenus du pétrole jusqu’à 80% du PIB). Cette particularité explique un secteur public énorme créant des millions d’emplois, l’Etat fournissant beaucoup de services, et ne prélevant pas d’impôt. Le pacte social saoudien est donc fondé sur cette distribution, de laquelle est attendue une forme d’allégeance.
Cette Arabie saoudite traverse aujourd’hui une crise profonde, qui se traduit par trois défis majeurs à relever.
Une crise de gouvernance, le système collégial arrivant à son expiration.
Une crise de l’Etat rentier car il devient de moins en moins tenable de garder le même niveau de service face à une population en croissance et un prix du pétrole qui baisse.
Un défi régional et sécuritaire. Une contestation du pouvoir saoudien prend forme à l’intérieur comme à l’extérieur. Des Islamistes saoudiens condamnent l’indépendance exagérée des Princes, tandis qu’hors de frontières, Al Qaïda et l’Etat Islamique revendiquent être les détenteurs du salafisme « authentique », et l’Iran reste redouté pour ses velléités expansionnistes.
Comment l’Arabie saoudite répond à ces défis ?
L’Arabie saoudite développe d’abord une réponse prudente sur le sujet du pétrole et de la rente. Sur le défi sécuritaire, jusqu’en 2015, elle a soutenu des proxys dans les régions voisines mais sans intervenir directement, et a financé les opposants de Bachar el-Assad.
Mais depuis 2015, avec la mort du roi Abdallah et l’arrivée du roi Salman, on observe une rupture avec cette stratégie.
Le roi Salman met en avant un de ses fils qu’il veut propulser comme nouvel homme fort du système, le nommant vice-Prince héritier. Mohamed Ben Salman prend ainsi en charge le ministère de la défense, et devient président du conseil économique et social. La volonté est de restructurer le système autour de sa personne, et d’amorcer un nouveau système de gouvernance au prétexte de devoir sortir de la crise.
Ainsi est prise en 2015, la décision – en rupture avec les pratiques du passé – d’intervenir directement au Yémen. La vision 2030 est exposée : « révolution thatchérienne » et réforme radicale du pacte rentier. Puisque l’ancien modèle a vécu, il s’agit de passer d’un modèle horizontal de gouvernance à un modèle vertical autour d’un homme fort, de développer un discours nationaliste saoudien pour forger une identité nationale et… de cimenter la nation autour d’un ennemi."
Bernard HOURCADE
"La rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran n’est pas nouvelle et coïncide avec l’émergence de l’Arabie moderne après la seconde guerre mondiale. Iran et Arabie étaient les deux « gendarmes » et en fait les deux Etats rivaux du golfe Persique. Cette rivalité entre deux Etats complexes ne se limite donc pas aux dimensions religieuses (chiites vs Sunnites) ou ethnique (arabes vs Persans) qui alimentent les mythes et les discours… Rappelons qu’il n’y a jamais eu de guerre entre ces pays !
Ce qui se joue entre ces deux Etats est la nécessité d’ajuster un rapport de force qui doit composer avec leur identité nouvelle.
Quatre facteurs sont utiles pour penser le fonctionnement du Moyen-Orient actuel:
- La fin de l’URSS
- L’émergence des classes moyennes, d’une nouvelle bourgeoisie d’ingénieurs et de cadres ou de simples techniciens, grâce aux progrès de l’instruction. En Iran, cette classe moyenne (dont fait partie le clergé chiite) a renversé le chah en 1979 et s’est renforcée, elle émerge en Arabie et dans ;le monde arabe comme l’ont montré les « printemps arabes ».
- La Révolution islamique d’Iran, qui a mis sur la scène internationale un objet politique nouveau, la plus grande monarchie du monde devenant une république.
- L’émergence, dès 1972, des monarchies pétrolières, dont l’Arabie Saoudite, qui sont devenues des acteurs incontournables.
Aujourd’hui, des temps nouveaux se dessinent, car la République iranienne est –enfin- vraiment née sur la scène internationale, le 14 juillet 2015, lors de l’accord historique sur le nucléaire iranien.
C’est un changement fort. L’Iran actuel fonctionne selon un nouveau « logiciel » politique qui ambitionne de faire les compromis nécessaires pour intégrer la mondialisation dont, le pays était écarté depuis près de quarante ans, sans pour autant abandonner son identité héritée de la Révolution de 1979, nationaliste, « républicaine », hostile aux USA, et à Israël, affirmant son indépendance et ses ambitions de puissance régionale et mondiale. Volonté de concilier son identité héritée, nationale et révolutionnaire, avec son identité nouvelle, construite, exprimée par les ambitions d’une société dynamique et d’une nouvelle élite qui veulent dépasser sinon oublier la « menace iranienne » qui avait marginalisé » le pays pendant quatre décennies et surtout pendant la récente crise du nucléaire.
L’Arabie saoudite et les monarchies pétrolières ont connu leurs « Trente glorieuses » grâce à cette mise à l’écart de l’Iran et du soutien des pays occidentaux qui ont utilisé les nouveaux Etats émergents pour contrer la « menace iranienne » longtemps considéré comme une composante de la menace soviétique sur le pétrole du golfe Persique. Pour contrer l’islam révolutionnaire iranien, on a facilité l’expansion des réseaux des ulémas wahhabites d’Arabie (université islamique internationale de Médine) dans le monde musulman comme dans les pays occidentaux.
Aujourd’hui, la donne est donc autre qu’en 1970, et avec l’émergence du djihadisme, la « menace » n’est plus seulement iranienne.
La rivalité Iran – Arabie est donc globale, entre deux Etats, deux systèmes politiques complexes,
- Décalage historique : la Nation iranienne est une réalité, chargée d’histoire / L’Arabie saoudite fait encore figure de pays tout neuf.
- Décalage social : la jeune bourgeoisie saoudienne a vu que la bourgeoisie iranienne a réussi à faire tomber le chah, perspective qui peut inquiéter les autorités saoudiennes.
- Dissymétrie militaire et sécuritaire, le budget militaire de l’Arabie est dix fois supérieur à celui de l’Iran, mais l’armée iranienne, mal équipée, est forte et expérimentée après la guerre Irak-Iran (1980-1988)
- Dissymétrie économique, l’Iran historiquement industriel est faible et doit reconstruire toute son industrie qui est passée à côté de la mondialisation, face à une Arabie saoudite qui a connu un développement économique et une intégration mondiale exceptionnelle, mais qui doit maintenant faire des réformes profondes pour répondre aux besoins de sa population, ce qui va prendre au moins 30 ans.
Décalage politique entre deux systèmes politiques, entre une « république islamique » et une « monarchie islamique ».
On pourrait ainsi multiplier les facteurs d’opposition entre ces deux pays et mettre à leur juste place les oppositions héritée, religieuses ou ethniques qui ont toujours existé et ne peuvent pas expliquer les conflits actuels.
Au sein des empires musulmans sunnites arabes turcs ou mongols, l’Iran, comme peuple, culture et rarement comme Etat, a toujours été une des composantes fortes de l’espace qui va de l’Indus à la Méditerranée ? Cet axe est aujourd’hui celui des « Républiques », des sociétés civiles qui ont tenté d’émerger et non un « axe chiite ». Contrairement à des idées reçues, l’Iran a des ambitions nationalistes et pas impérialistes. L’ambition de la République islamique est de survivre dans ses frontières et non de conquérir les territoires voisins.
Actuellement, se joue entre ces deux puissances une guerre des proxis.
Les Saoudiens sont littéralement paniqués par la renaissance de la République islamique d’Iran, avec son identité et son expérience politique, ses 80 millions d’habitants et la normalisation en cours de ses relations, notamment économiques, avec les pays occidentaux.
Les iraniens de leur côté constatent leur faiblesse, ses élites actuelles, les anciens combattants de la guerre Irak Iran comme les nationalistes, craignent l’encerclement politique et militaire de leur pays par des Etats hostiles – en l’occurrence l’Arabie - , malgré le départ des forces américaines.
L’Iran est donc très engagé (envoi des forces spéciales de la Force Qods, création de milices chiites) en Syrie et en Irak, mais aussi au Yémen, dans la lutte contre al Qaida et Daesh et les forces djihadistes souvent hétéroclite mais soutenues de près ou de loin par les saoudiens.
Cette guerre de proxis que se livrent les deux puissances ont des conséquences très larges, comme l’illustre l’afflux de migrants en Europe.
Ces deux pays ont peur l’un et l’autre, et se jaugent à travers ce conflit dispersé.
Allons-nous vers une crise majeure ? Peut-être pas. La solution serait la Pax Petrolea.
L’Iran et l’Arabie saoudite ont en effet besoin que le prix du pétrole augmente et soit exporté en toute sécurité, et ils sont condamnés à vivre côte à côte… comme l’ont été la France et l’Allemagne à une autre époque.
Leur réel intérêt est sans conteste dans le maintien d’une stabilité, et dans ce qui serait une sorte d’accord Yalta, proposant un partage des zones d’influence de part de part d’autre du Golfe persique. L’Iran trouvant sa place au nord entre Kaboul et Beyrouth, l’Arabie au sud entre Oman et la Jordanie."
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